À l’intersection de l’Europe et de l’Asie, le Kazakhstan émerge comme une plateforme incontournable pour la finance internationale, et un terreau fertile pour l’investissement étranger. Au cœur de ce paysage en mutation, les entreprises françaises, de TotalEnergies à Alstom, s’érigent en acteurs clés, tissant une toile industrielle et financière qui dépasse les frontières. Entre initiatives vertes et projets d’infrastructures d’envergure, la collaboration franco-kazakhstanaise dessine les contours d’une coopération modèle, propulsant le Kazakhstan sur le devant de la scène économique mondiale.
Par Rafik Ammar et Féliana Citradewi
Une place économique et géographique incontournable pour les entreprises européennes
La situation géographique du Kazakhstan, à la croisée des chemins entre l’Europe et l’Asie, en fait un point stratégique dans l’immense territoire eurasien. Cet atout est renforcé par son intégration à l’initiative chinoise dite « une ceinture et une route » (One Belt One Road, OBOR), lancée par Xi Jinping lors de sa visite officielle au Kazakhstan en septembre 2013. Il s’agit du plus ambitieux programme d’investissement et de développement d’infrastructures jamais conçu, visant à améliorer la connectivité régionale en Eurasie et à accroître les échanges économiques ainsi que la confiance réciproque. Ce projet a permis au Kazakhstan de capter un investissement total de 27 milliards de dollars dans 51 projets d’infrastructures, consolidant ainsi sa position de carrefour de transit régional. La Banque mondiale estime qu’avec le maintien des taux de croissance du projet OBOR à leur niveau actuel, le PIB du Kazakhstan pourrait augmenter de 21 %. Le pays représente 70 % des flux d’Investissements directs à l’étranger (IDE) en Asie centrale, attirant les investisseurs internationaux grâce à ses ressources naturelles abondantes et à son potentiel agricole considérable.
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Intéressons-nous de plus près à la partie européenne du Kazakhstan, connue sous le nom de Kazakhstan occidental, et située dans l’ouest du pays, géographiquement en Europe de l’Est. Elle est délimitée par le fleuve Oural, la mer Caspienne au sud, et est adjacente à la Fédération de Russie à l’ouest et au nord. Avec une superficie de plus de 148 000 km2, elle se place au 14e rang par rapport aux pays européens en termes de taille. Ce côté occidental du Kazakhstan a des conséquences stratégiques et économiques importantes. L’Union européenne est le principal partenaire économique du Kazakhstan, représentant environ 30 % de son commerce total et recevant 41 % de ses exportations. Les relations bilatérales sont régies par l’Accord de partenariat et de coopération renforcé (APCR), conclu en 2015 et entré en vigueur le 1er mars 2020. Par ailleurs, le pays est membre à part entière de la Commission européenne pour la démocratie par le droit (Commission de Venise) depuis 2012 et du Groupe d’États contre la corruption (Greco).
Future Dubaï de l’Asie centrale
Astana mène une politique étrangère ambitieuse et multivectorielle, comme en témoignent les récentes visites de dirigeants et diplomates venus de Chine, Russie, Europe et États-Unis. Ces déplacements, et en particulier ceux de Xi Jinping et de représentants de l’Union européenne, montrent l’engagement du Kazakhstan à maintenir et approfondir des relations de confiance et de compréhension mutuelle avec ses partenaires. Par l’organisation d’évènements tels le processus d’Astana sur la Syrie et les négociations sur le programme nucléaire iranien, le pays s’affirme comme un acteur neutre et responsable favorisant le dialogue et la médiation internationale, et renforce sa légitimité dans la résolution de conflits et la promotion du multilatéralisme. Se positionnant comme une puissance souveraine, le Kazakhstan met en œuvre une diplomatie indépendante, contribuant à la stabilité régionale et renforçant la confiance des investisseurs étrangers. En outre, sa position concernant le conflit en Ukraine et son appel à la paix démontrent sa capacité à résister aux pressions de ses imposants voisins, la Russie et la Chine.
D’autre part, l’Europe s’affiche comme un partenaire diplomatique et un investisseur clé, avec une présence solide de grandes entreprises européennes dans le secteur énergétique kazakhstanais. Cependant, Astana cherche à diversifier les investissements vers l’industrie manufacturière, la finance, l’agriculture et la cybersécurité, avec l’aide d’institutions comme le Centre financier international d’Astana (AIFC) ou Kazakh Invest. Le Kazakhstan s’est métamorphosé en un carrefour économique privilégié pour les entreprises européennes. Le pays aspire à devenir le « Dubaï d’Asie centrale ». Astana, capitale construite de toutes pièces au milieu des steppes, avec son architecture ultramoderne et résolument futuriste, est un spectacle éblouissant en soi.
Le Kazakhstan se positionne comme un pôle eurasiatique attractif pour les investisseurs étrangers. Sa localisation stratégique, sa diplomatie efficace et des accords d’investissement pour des milliards de dollars en sont des illustrations palpables. Les initiatives démontrant son ambition de devenir un hub économique central et un lieu privilégié pour le monde des affaires se multiplient, conférant toujours davantage à sa capitale l’image du Dubaï d’Asie centrale.
Comment le Kazakhstan soutient-il les investissements étrangers ?
La volonté du Kazakhstan de jouer un rôle de premier plan dans l’économie mondiale a commencé par la création d’un terrain propice pour les affaires. Le pays a mis en place 13 Zones économiques spéciales (ZES), chacune visant une industrie spécifique et bénéficiant de l’infrastructure nécessaire et d’un régime juridique spécial. L’organisation Kazakh Invest, établie en 2017, sert de guichet unique pour négocier et mener à bien les projets d’investissement dans les secteurs économiques prioritaires. Enfin, depuis janvier 2020, le pays a levé les restrictions sur l’ouverture de succursales de banques et de compagnies d’assurance étrangères, conformément au cadre de l’OMC dont il est membre depuis 2015.
Ces mesures, combinées à une volonté politique forte de modernisation et de diversification économique, font du Kazakhstan une destination d’investissement en plein essor et marquent son ouverture aux capitaux étrangers. Il en a découlé un afflux record d’IDE, culminant à 28 milliards de dollars en 2022, ce qui représente une augmentation de 17,7 % par rapport à l’année précédente et le montant le plus important enregistré pour le pays sur une période de cinq ans. Les entreprises européennes ont investi massivement au Kazakhstan, consolidant ainsi la coopération bilatérale dans de nombreux domaines. Depuis 2005, l’Union européenne a investi dans l’économie kazakhstanaise 175 milliards de dollars, et se confirme comme le partenaire commercial et d’investissement le plus important d’Astana. Ce dynamisme est illustré par des projets d’envergure, comme l’accord avec Svevind, acteur allemand spécialisé dans l’énergie, pour l’installation de parcs éoliens et solaires qui produiront 3 millions de tonnes d’hydrogène vert à partir de 2030, répondant à un cinquième des besoins de l’UE en la matière.
À ce jour, 3 257 entreprises européennes et 1 237 coentreprises opèrent dans divers secteurs de l’économie kazakhstanaise, et des accords sont en place avec des entreprises du Royaume-Uni, de Lituanie, du Danemark et de la République tchèque pour ouvrir de nouvelles installations de production ou déplacer leurs bureaux régionaux au Kazakhstan. Plusieurs grands groupes français ont déjà créé des filiales et établi des opérations significatives sur le territoire, illustrant leur confiance dans le climat des affaires du Kazakhstan. Ils exploitent non seulement la position géostratégique du pays, mais aussi son environnement réglementaire favorable et ses ressources naturelles.
Astana, nouveau carrefour de la finance internationale
Capitale du Kazakhstan, en tant que hub financier international potentiel et avec des politiques innovantes, des investissements stratégiques et une situation géographique avantageuse, Astana se positionne comme une plaque tournante entre l’Europe, l’Asie et la Russie. Au-delà de Londres, New York et Hong Kong, des villes comme la capitale kazakhstanaise font preuve d’ambitions croissantes. Puisque située au cœur de l’Eurasie, Astana a la possibilité de jouer un rôle pivot sur les marchés, notamment en servant de pont entre les économies de l’est et de l’ouest du continent.
Depuis son avènement en tant que capitale en 1997, Astana a bénéficié d’une augmentation significative de l’investissement, tant domestique qu’international. Le Gouvernement kazakhstanais a mis en œuvre des réformes économiques pour attirer les capitaux étrangers et diversifier son économie, traditionnellement dépendante des hydrocarbures. Des zones économiques spéciales et des initiatives telles que l’EXPO-2017 ont été cruciales pour attirer l’attention mondiale. De plus, le pays a travaillé à l’élaboration d’une infrastructure financière robuste, y compris la création d’une bourse internationale, l’Astana International Exchange (AIX), qui vise à attirer des investisseurs de tous horizons. Les efforts pour assurer une réglementation conforme aux standards internationaux sont également analysés, avec notamment la création de l’Astana Financial Services Authority (AFSA).
Bien que le potentiel soit significatif, la capitale fait cependant face à divers défis, dont la nécessité d’une plus grande transparence, la lutte contre la corruption, et le développement d’un secteur des services juridiques et financiers hautement qualifié, qui sont les minimums requis afin de devenir un centre financier incontournable, tenant compte des dynamiques régionales et internationales actuelles.
Développement économique et cadre réglementaire
L’initiative « Belt and Road » de la Chine offre au Kazakhstan, et spécifiquement à Astana, l’opportunité de devenir un carrefour clé sur les nouvelles routes commerciales entre l’Asie et l’Europe. Le développement d’infrastructures liées à cette initiative pourrait augmenter son importance stratégique en tant que centre logistique et financier, et plus encore depuis la construction de l’AIFC, qui ambitionne de devenir un hub financier pour l’Asie centrale, le Caucase, l’Union économique eurasiatique, le Moyen-Orient, l’Europe de l’Ouest, la Chine et l’Inde.
La création de l’AIFC s’est accompagnée de l’introduction d’un cadre réglementaire basé sur les standards de la Common Law anglaise, visant à attirer des investisseurs étrangers et à créer un environnement des affaires fiable et transparent. Cette introduction d’une juridiction spéciale au sein de l’AIFC s’est faite au travers de tribunaux et d’un centre d’arbitrage fonctionnant selon les meilleurs standards internationaux, sous la direction de juges internationaux expérimentés, renforçant la place de l’AIFC comme centre financier de rang international.
Les grands groupes français au Kazakhstan
Les entreprises françaises ne se limitent pas à la simple exportation de produits ou de services, mais participent aussi activement à l’économie du Kazakhstan au travers de joint-ventures, de partenariats stratégiques, de création d’emplois locaux et de transferts de savoir-faire. Cette présence est un témoignage de l’attractivité du Kazakhstan comme marché et comme point d’ancrage régional pour les entreprises cherchant à s’étendre en Asie centrale et au-delà. Passons en revue quelques projets qui ont vu le jour ces dernières années en complément des récentes annonces lors de la visite du Président français, Emmanuel Macron, en novembre 2023.
L’empreinte économique française au Kazakhstan
Quelques projets français ayant vu le jour au Kazakhstan ces dernières années :
TotalEnergies
Projet Kashagan : TotalEnergies est l’un des principaux actionnaires du consortium impliqué dans le développement du gisement de pétrole de Kashagan, l’un des plus grands champs pétrolifères découverts au cours des dernières décennies. Il est en outre engagé dans des initiatives d’énergie renouvelable sur le territoire, notamment des projets d’énergie solaire, reflétant l’engagement du groupe dans la transition énergétique.
Groupe ADP
Modernisation de l’aéroport d’Almaty : Le Groupe ADP est impliqué dans des projets de conseil et de gestion pour la modernisation et l’expansion de l’aéroport d’Almaty, qui est un hub majeur en Asie centrale.
Air Liquide
Installation des unités de production pour fournir de l’oxygène, de l’azote ou d’autres gaz industriels nécessaires aux industries extractives et de fabrication kazakhstanaises.
Lactalis
Acquisition de certaines entreprises laitières locales, comme FoodMaster, pour établir sa présence sur le marché kazakhstanais et étendre sa chaîne de distribution en Asie centrale.
Alstom
Actif dans la fourniture de matériel roulant, par exemple en locomotives électriques Prima T8 (KZ8A) et Prima M4 (KZ4AT), pour les chemins de fer kazakhstanais.
Vicat
Vicat possède et exploite une usine de ciment au Kazakhstan via sa filiale Jambyl Cement, profitant de la demande locale en matériaux de construction.
Joint-venture EKZ
Pour la production de locomotives électriques à Astana.
Thales
Fourniture des systèmes de signalisation et de gestion du trafic ferroviaire pour moderniser les infrastructures de transport du Kazakhstan. La société est également impliquée dans la fourniture d’équipements électroniques et de systèmes pour les secteurs de la défense et de l’aérospatiale.
Décathlon
Ouverture de magasins dans des villes clés du Kazakhstan, rendant l’équipement sportif plus accessible et favorisant l’activité physique dans le pays.
Adeo
Le premier magasin Leroy Merlin a été ouvert en 2018 à Almaty, capitale économique du Kazakhstan. Compte tenu du développement dynamique du secteur de la construction, le groupe envisage d’élargir sa présence dans d’autres villes du pays.