Réputée depuis des siècles pour son raffinement et son élégance, la France fait rêver de Rio à Tokyo. Cet héritage ancien constitue un pilier fondamental de son rayonnement mondial. Pour autant, l’Hexagone doit faire face à un environnement mondial du luxe et de l’art de vivre en constante mutation. État des lieux, entre mythe, réalité et enjeux contemporains.
Par Philippe Gortych
Tels le yin et le yang, luxe et art de vivre sont deux facettes indissociables de l’identité française. Dès l’époque de Louis XIV, la France s’est distinguée par le raffinement de sa cour, la mode, les arts décoratifs et l’orfèvrerie. Plus proche de notre époque, des grandes maisons de couture telles que Chanel, Dior ou encore Saint Laurent ont défini les codes du luxe au XXe siècle. Aujourd’hui, le secteur du luxe en France est un véritable poids lourd économique puisqu’il représente un chiffre d’affaires annuel de 154 milliards d’euros, soit l’équivalent de près de 5 % du PIB national. Pour alimenter cette locomotive, l’Hexagone emploie près d’un million de personnes en comptant la chaîne complète de production.
Prestige mondiale
Au panthéon du luxe français, on retrouve le groupe Louis Vuitton Moët Hennessy (LVMH), qui est le plus grand conglomérat de luxe au monde. Cet empire dirigé par Bernard Arnault est actuellement la première capitalisation à la bourse de Paris, après être repassé devant le sellier-maroquinier Hermès début août.
À la lecture du rapport Kantar BrandZ 2024 des marques de luxe les plus précieuses au monde, on peut crier cocorico car dans le top 5 de ce palmarès élitiste, on trouve quatre fleurons français : Louis Vuitton, Hermès, Chanel aux trois premières places, et Dior qui se classe cinquième juste derrière la maison de mode italienne Gucci. Secret de ce succès, les marques de luxe hexagonales tirent leur force de la combinaison héritage, rareté, exigence et modernité.
Grâce à ces enseignes iconiques qui incarnent une partie de la vitrine de la maison France, Paris est perçue dans beaucoup d’endroits du Globe comme la capitale mondiale de la mode. Ses nombreux salons de prêt-à-porter et défilés de mode attirent des visiteurs étrangers en quête de qualité et d’exclusivité. De ce fait, les grandes marques françaises jouissent d’une très forte visibilité dans les plus grandes mégalopoles du monde telles que Tokyo, Mexico, Pékin, Moscou ou New York.
Au-delà du mythe
L’image de la France comme synonyme de luxe est en partie un mythe et un produit de la communication, renforcé par le cinéma, la publicité ou encore le tourisme. Au-delà des marchandises de luxe, c’est tout un art de vivre que l’Hexagone promeut, à commencer par la gastronomie française qui est inscrite au Patrimoine immatériel de l’Unesco depuis 2010. Elle demeure un fleuron national et source de fierté, avec 31 restaurants ornés des mythiques 3 étoiles Michelin. Malgré la concurrence des cuisines italienne, espagnole, japonaise ou encore nordique, les tables françaises continuent de faire rêver les fins gourmets, et la gastronomie bleu blanc rouge reste une référence en la matière dans les plus prestigieuses écoles hôtelières. Les grands chefs comme Alain Ducasse, Anne-Sophie Pic, Yannick Alléno ou bien encore Pierre Gagnaire jouissent d’une reconnaissance internationale.
Côté œnologie, les vins français figurent parmi les plus prisés du monde, même si l’Hexagone doit faire face de plus en plus à la concurrence de vins dits du Nouveau Monde (Chili, Californie, Australie, Afrique du Sud).
Au plan touristique, 2024, année olympique, fut une année faste avec plus de 100 millions de visiteurs étrangers. Depuis déjà de très nombreuses années, la France s’est imposée comme un acteur majeur du tourisme haut de gamme : palaces parisiens, domaines viticoles de Bourgogne, plages privées de la Côte d’Azur ou encore chalets d’exception dans les Alpes.
En déboursant plusieurs centaines ou milliers d’euros pour s’offrir un bien ou un service orné du label made in France, voire de la mention magique « Paris », plus qu’un produit ou une prestation, les consommateurs achètent bien souvent une émotion et une expérience uniques et ce label reste encore aujourd’hui l’un des plus puissants outils de marketing culturel. Le made in France demeure une appellation recherchée, en particulier pour les produits de beauté, la maroquinerie et la gastronomie.
Pour autant, il faut remarquer que face aux changements climatiques, aux attentes des jeunes générations et à la montée en puissance des marchés asiatiques, l’industrie française du luxe est forcée de se réinventer pour tenir son rang de leader. Pour cela, la sobriété, la durabilité, l’éthique deviennent des valeurs centrales. Même les géants du secteur comme LVMH ou Kering font le choix d’investir dans des matériaux recyclés, l’économie circulaire, et d’accroître la traçabilité de leurs produits.
Quant à l’art de vivre à la française, qui se caractérise sur le temps long, la convivialité, l’épicurisme et la culture du bon goût, celui-ci se retrouve menacé par la mondialisation et l’évolution des modes de vie, avec notamment l’accélération numérique et la culture de l’instantanéité.
Soft power culturel
Outre ses atouts dans les domaines du luxe et de l’art de vivre, la France use également de son influence par le biais du développement d’infrastructures culturelles à l’international, avec l’ouverture d’antennes de musées célèbres, comme le Louvre à Abou Dabi ou le Centre Pompidou à Bruxelles et Shanghai, mais aussi à travers l’organisation de manifestations visant à mettre en lumière la créativité et le patrimoine français.
Au cours des toutes dernières années, l’image de la maison France a toutefois pu être notablement ternie par des tensions sociales comme le mouvement des gilets jaunes, des grèves sauvages a répétition dans les aéroports et les gares, ou encore des problèmes liés à la sécurité avec des manifestations qui ont trop souvent viré aux affrontements violents. Largement relayés dans les médias étrangers, ces incidents viennent hélas directement affaiblir l’attractivité de la France auprès du public international. Et si ce genre de phénomènes perdurent, l’Hexagone pourrait se faire ravir par l’Espagne la palme de la première destination touristique mondiale.
Bien que le chic, l’élégance et l’art de vivre à la française aient encore de beaux jours en perspective, cette domination ne revêt hélas plus la même importance qu’à la fin du siècle dernier. Les temps changent et d’autres pays et villes, en Europe comme dans le monde, avancent de façon très dynamique dans le milieu de la mode. À Paris, il y a encore quelques décennies, il semblait impossible de se promener dans les beaux quartiers sans apercevoir des passantes coiffées d’un chapeau, tandis que depuis une bonne vingtaine d’années, il vaut mieux se rendre du côté de Milan pour voir ce genre de créations de mode dans la rue.
Aujourd’hui, pour rester dans la course, les entreprises françaises s’emploient ardemment à conjuguer tradition et modernité, tout en privilégiant des valeurs comme la durabilité, le savoir-faire local ou encore le luxe responsable, afin d’assurer au pays une position forte pour les années à venir, dans un siècle dominé par la vitesse et l’uniformisation. In fine, on peut raisonnablement affirmer que sur le marché mondial du luxe et de l’art de vivre, bien qu’elle soit concurrencée par de nouveaux acteurs, la France demeure une puissance de première importance.