À l’origine peuple nomade, les Kazakhs ont, au cours des siècles, façonné des traditions correspondant à leur mode de vie. Puis, au fil du temps, différents courants d’immigration sont venus s’agréger à cette société, notamment lors de son intégration à l’Union soviétique. Aujourd’hui pays multiethnique, multiculturel et multireligieux, le Kazakhstan a su préserver son unité en incluant les richesses des apports extérieurs.
Par Marie Forest
Le Kazakhstan s’étend sur un vaste territoire où se côtoient nombre de traditions issues de contrées parfois éloignées. À la chute de l’URSS, il a fallu, pour arriver à « faire nation », trouver un moyen de donner aux habitants un même sentiment d’appartenance. La doctrine nationale a donc été de valoriser les traditions kazakhes, en tenant compte des influences des courants culturels qui balayaient le pays. Un socle sociétal commun s’est ainsi formé, sur la base du mode de vie nomade des Kazakhs, de la géographie si particulière des grandes steppes, et de l’islam, introduit dans la région entre le VIIe et le XIIe siècle.
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Composition ethnique
Le peuple kazakhstanais — 19 millions d’habitants répartis sur 2,725 millions de kilomètres carrés (soit cinq fois la France métropolitaine) — est composé d’environ 125 ethnies, et regroupe une vingtaine de confessions religieuses. Les premiers à avoir pris possession du Pays des steppes, et qui lui ont donné son nom, sont les Kazakhs (« Hommes libres »). Leurs origines sont à rechercher principalement au sein des peuples turciques, des Huns, des tribus mongoles médiévales et de diverses ethnies indo-européennes. Avec l’avènement de l’URSS d’autres groupes se sont agrégés, parfois par contrainte : Russes et Ukrainiens, mais aussi Allemands (implantés en Russie au XVIIIe siècle et transférés par Staline), Polonais, Grecs, Ouzbeks, Kirgizs, Ouïgours, Coréens, Kurdes, Tchétchènes, peuples du Caucase…
En décembre 1991, lorsque le Kazakhstan obtient son indépendance, l’on peut craindre une partition ethnique. Pour conjurer ce risque et transformer ce melting-pot en une nation unie, les autorités du pays, sous impulsion du Président de la République, décident de la création d’une Assemblée du peuple du Kazakhstan (APK) chargée d’harmoniser les relations interethniques.
Religions
La religion dominante dans le pays est l’islam (majoritairement sunnite), avec environ 70 % de pratiquants. Elle est suivie par le christianisme (principalement orthodoxe), qui concerne un quart de la population. L’harmonie règne dans les rapports interreligieux, grâce à un dialogue permanent institué dans cet État laïc. Sa politique volontariste en la matière lui a permis d’être exempt jusqu’à présent de troubles religieux et de poussées fondamentalistes. Cette coexistence pacifique, y compris entre chiites et sunnites, est non seulement un atout pour la stabilité intérieure, mais également un élément de diplomatie internationale. Astana, la capitale du pays, accueille ainsi tous les trois ans le Congrès des dirigeants des religions mondiales et traditionnelles. Les échanges ont lieu au sein d’un bâtiment spécialement conçu à cet effet, la Pyramide de la paix et de la réconciliation, érigée comme symbole de l’entente œcuménique.
Langues
Vestige de la période soviétique, le pays reconnaît, outre le kazakh, le russe comme autre langue officielle. Malgré la volonté de l’ancien Président Noursoultan Nazarbaïev que 95 % de la population parle kazakh en 2020, cette langue n’est encore utilisée que par la moitié des habitants, et 20 % d’entre eux ne la comprennent pas. C’est pourquoi un programme de vulgarisation a été lancé en 2021, avec une transcription en alphabet latin adapté. Le kazakh s’est en effet d’abord écrit en alphabet arabe, puis en alphabet latin en 1927, en alphabet cyrillique en 1940, avant de revenir peu à peu vers l’alphabet latin à partir de 2006. L’année 2025 est l’objectif fixé pour finaliser cette transition. Et cela fonctionne : pour preuve, les artistes nationaux s’expriment de plus en plus en kazakh, comme l’a relevé le média européen Novastan spécialisé sur l’Asie centrale.
La guerre en Ukraine donne aujourd’hui une accélération à ce phénomène. Les Kazakhstanais condamnent très majoritairement l’invasion russe et, comme le relève le média russe MediaZona, « nombreux sont les Kazakhs qui ont publiquement annoncé abandonner la langue russe ». Le média kazakh The Village explique que, depuis le début de la guerre, beaucoup de clubs de discussion en kazakh ont été créés par des bénévoles ou des associations dans les grandes villes, afin de « renouer avec une certaine identité nationale ». La volonté des autorités du pays pourrait donc être exaucée !
Jeux équestres
Les Kazakhs sont issus d’un peuple nomade. Leur plus grande richesse résidait dans leurs chevaux, qui leur servaient à se déplacer, mais aussi à se nourrir. Rien d’étonnant donc à ce que les jeux équestres fassent intégralement partie de cette culture.
Le koqpar, pratiqué dans toute l’Asie centrale depuis le XIIIe siècle (parfois sous d’autres noms, comme bouzkachi), est le plus emblématique. C’est une sorte de polo, qui consiste, pour des cavaliers répartis en équipes, à s’emparer d’une carcasse de chèvre décapitée (maintenant remplacée par un fourre-tout en cuir) jetée au sol et à l’emporter vers le but assigné. Ce sport pouvait regrouper des centaines de joueurs et s’étendre sur un terrain de 2 km. Aujourd’hui encore, il est plébiscité par les jeunes : les cinq principaux établissements d’enseignement supérieur du Kazakhstan possèdent une équipe.
Il faut également mentionner la baïgué, spectaculaire course hippique qui se déroulait sur des étendues de 20 à 30 km dans les steppes (aujourd’hui plus souvent sur des circuits fermés), regroupant là aussi de très nombreux participants. Les chevaux sont montés à cru. Tout comme le koqpar, c’est un sport extrêmement rude, pour les cavaliers comme pour leur monture. Ces activités équestres, qui exaltent la virilité, sont réservées aux hommes.
Le Pays des steppes participe naturellement aux Jeux mondiaux nomades, une compétition bisannuelle créée en 2014, consacrée aux sports ethniques pratiqués dans les pays d’Asie centrale.
Autres sports et divertissements
D’une manière générale, les sports soulèvent un vif intérêt au Kazakhstan, et font partie intégrante de la culture de l’État. La nation peut se glorifier de former des athlètes de haut niveau dans diverses disciplines, comme le hockey sur glace, l’haltérophilie, la lutte, et surtout la boxe et le cyclisme où ils excellent. Au niveau succès populaire, les sports d’équipe remportent la palme avec le football, suivi du rugby.
À ces pratiques mondialement répandues, s’en ajoutent d’autres plus spécifiques à ce territoire. On peut citer la chasse traditionnelle à l’aigle royal pratiquée par les berkutchi (fauconniers), la chasse traditionnelle avec tazy (lévriers d’Asie centrale, une race devenue très rare et que le pays s’efforce de sauvegarder), la lutte kures (ou lutte à la ceinture : pendant tout le combat les protagonistes doivent tenir la ceinture de leur adversaire), etc.
Côté divertissements, certaines coutumes ancestrales perdurent également. Il y a par exemple le toguz kumalak (« neuf cailloux », soit le nombre de pierres mises dans chacune des 18 cases du plateau), un jeu de stratégie, ou les assyks, un jeu d’osselets (traditionnellement composés d’astragales de mouton), inscrit sur la Liste représentative du patrimoine culturel immatériel de l’humanité.
Fêtes
Qu’elles soient traditionnelles, religieuses ou héritées de l’époque soviétique, les fêtes sont le prétexte de se retrouver, en famille ou entre amis, et de transmettre de génération en génération la culture acquise au fil du temps. Certaines célébrations sont particulièrement prisées au Kazakhstan.
L’une des plus ancrées est — naturellement — liée aux chevaux. Le Festival du berger se déroule chaque été à la frontière kazakho-kirghize. Il rassemble les éleveurs de la région, qui participent à des activités sportives et récréatives, et permet de faire perdurer la connaissance des coutumes et modes de vie traditionnels.
Comme partout en Asie centrale, on fête le retour du printemps. Naouryz (« jour nouveau ») marque le début du Nouvel An, et ce depuis l’époque préislamique, il y a plus de 3 000 ans. Inscrite sur la Liste représentative du patrimoine culturel immatériel de l’humanité de l’UNESCO, cette célébration ancestrale est l’occasion de voir des représentants d’une douzaine de pays participer à des spectacles, jeux équestres, compétitions sportives, concours intellectuels ou artistiques !
Les performances poético-musicales de chanteurs-improvisateurs émaillent les évènements festifs. Ces aïtys (« récits ») sont des joutes verbales entre deux akyns (« conteurs ») qui improvisent des vers en musique et se répondent sur un thème choisi. Traits d’esprit, habileté, sagesse, persuasion sont jugés, ainsi que le talent musical.
Musique
Il existe un large éventail de styles musicaux originaires du Kazakhstan. Le pays a su puiser dans les divers courants civilisationnels qui l’ont traversé, sans perdre sa spécificité. L’instrument fétiche du Pays des steppes est la dombyra. Ce genre de luth à manche long, à deux cordes, représente vraiment l’essence des harmonies kazakhes, comme en atteste le proverbe : « Un vrai Kazakh n’est pas un Kazakh ; un vrai Kazakh est une dombyra. » L’orchestre national d’instruments folkloriques porte d’ailleurs le nom de Kourmangazy, célèbre compositeur et joueur de dombyra du XIXe siècle. On trouve à ses côtés d’autres instruments de musique, comme le kobyz, un instrument à archet ancestral (Ve-VIIIe siècles) dont émanent des notes lancinantes propices aux transes, ou le jetyguen, instrument à pincer à sept cordes, qui peut s’apparenter à une petite harpe tenue horizontalement.
La musique folklorique a été adaptée à la musique classique russe au début du XXe siècle. Et depuis l’indépendance, la musique pop a connu un essor considérable sur le territoire, aboutissant à l’apparition en 2015 de la Q-pop (pour « Qazaq pop »), un nouveau genre de pop électronique kazakhstanaise mêlant musique kazakhe traditionnelle et rythmes actuels. Preuve de la vitalité du pays en la matière, se tient chaque année au mois de juin à Almaty The Spirit of Tengri (« L’esprit du Tengri »), un festival international de musique ethnique contemporaine.
Arts
L’artisanat traditionnel kazakhstanais s’applique aux ustensiles de tous les jours, avec les techniques de la céramique, la ciselure et le gaufrage du métal, le moulage de l’étain et du bronze ; aux armes et bijoux, avec le travail de l’argent serti de pierres semi-précieuses comme le lapis et la cornaline ; aux vêtements et tissus d’ameublement, avec le tissage, la broderie, les tapis ; sans oublier le travail du cuir et la sculpture. L’Union des artisans du Kazakhstan, créée en 2012, regroupe plus de 650 professionnels issus de toutes les régions. Elle vise entre autres la vulgarisation et la promotion de l’artisanat national. Depuis 2006, le concours Sheber (« artisan »), qui se déroule à Astana, permet de distinguer les meilleurs artistes. Il fait partie du programme « Développement de l’artisanat et renouveau des arts et métiers populaires au Kazakhstan », développé en 2006 pour préserver le patrimoine culturel.
Au niveau des arts, il faut mentionner la peinture qui tient une place particulière dans ce pays. Au début des années 2000, l’École nationale de peinture a bénéficié du mécénat de grandes entreprises privées et publiques en faveur de peintres confirmés, mais aussi de talents prometteurs, et de nombreuses expositions d’art ont pu être financées. Les peintres kazakhstanais sont réputés depuis le début du XXe siècle, et le symbolisme mythologique reste important dans l’art moderne. Il y a plus de 170 musées au Kazakhstan, le plus ancien datant de 1883.
Architecture
L’on ne peut aborder l’architecture kazakhstanaise sans commencer par la yourte. Cet habitat traditionnel, provenant du passé nomade du peuple des steppes, est une tente sphérique constituée d’une armature souple en bois de saule, recouverte de feutre. Pour être parfaitement adaptée aux besoins constants de déplacement, elle est montable et démontable facilement, rapidement, et facilement transportable. Les yourtes peuvent être de toute taille, allant de 9 m2 à 122 m2. La yourte devient de plus en plus populaire chez les touristes occidentaux qui apprécient son côté écologique.
Autre héritage architectural, le mausolée de Khoja Ahmed Yassawi, dans la ville de Turkestan, et qui doit son nom à un célèbre érudit et poète, pionnier du mysticisme musulman. Érigé de 1389 à 1405 et demeuré inachevé, il est remarquable de par son état de conservation, et les solutions novatrices choisies par ses concepteurs. Il est constitué de briques cuites mêlées de mortier et d’argile. Avec son faîte qui s’élève à 37,5 m, il était l’un des plus hauts bâtiments de l’époque. En 2002, il est devenu le premier monument historique kazakhstanais classé au Patrimoine mondial de l’humanité par l’UNESCO.
Mais il faut aussi compter sur l’architecture avant-gardiste, présente notamment à Astana. On peut citer le Baïterek (« grand peuplier »), érigé en 2002. Cette tour d’observation, surmontée d’une sphère d’or de 22 m de diamètre, est devenue le symbole de la ville. Ce monument représente le mythe kazakh du Samrouk, un oiseau sacré qui pond chaque année un œuf d’or, symbole du soleil, à la cime d’un arbre de vie gigantesque. Il a été conçu par l’architecte anglais Norman Foster. Il abrite une galerie d’art, des cafés et bars.
Autre réalisation remarquable, le Palais de la paix et de la réconciliation, une pyramide de 62 m sur 62 m, et 62 m de haut. Ce bâtiment religieux et culturel, construit en 2006, est une prouesse architecturale. Les ingénieurs ont dû prendre en considération la dilatation thermique due au climat continental caractérisé par d’intenses variations de température (de -40 °C à +40 °C), qui entraîne une expansion du bâtiment jusqu’à 30 cm. Elle est également l’œuvre de Norman Forster.
Enfin, trait d’union entre le passé et le futur, l’immense tente transparente Khan Shatyr (« Tente royale ») culmine du haut de ses 150 m, qui surplombent une base elliptique de 140 000 m2. C’est l’un des plus grands centres commerciaux et de divertissement d’Asie centrale. Achevé en 2010, il a été construit à partir de matériaux innovants régulant la température ambiante. Entre shopping et repas dans un des restaurants, les visiteurs peuvent profiter d’une plage artificielle et d’une baignade, même si la température à l’extérieur est extrêmement basse. Le magazine Forbes l’a inclus dans le top 10 mondial des bâtiments « écologiques », comme la yourte.
Gastronomie
Un pays se définit aussi par sa gastronomie. Le nomadisme des Kazakhs les a amenés à privilégier les techniques de conservation des aliments sur le long terme (salaison et séchage des viandes, lait aigri), afin qu’ils puissent être facilement transportables. De même, le choix des viandes consommées a été dicté par les animaux qui les accompagnaient dans leurs déplacements, principalement des chevaux et moutons à queue grasse. Les chameaux servaient au transport, et au lait des chamelles. Le besbarmak (« cinq doigts », car, auparavant, il était de coutume chez les nomades de le manger avec les mains), composé de viande de cheval et d’agneau bouillie accompagnée de fines pâtes de blé, est le plat le plus populaire encore aujourd’hui. Sans oublier les qazy et les shoujouk (saucisses de viande de cheval), le jal (saindoux fumé du cou du cheval), le jaïa (viande salée et fumée de la hanche et de la patte arrière du cheval), le qouyrdaq (abats de cheval, de mouton ou de vache rôtis)… Les boissons nationales sont le qymyz (lait de jument fermenté) et le thé au lait.
La cuisine moderne kazakhstanaise puise dans ces traditions, en y apportant les techniques occidentales actuelles. Les anciennes recettes sont ainsi revisitées, avec une adjonction de légumes et de poissons, surtout sur les côtes de la mer Caspienne, connue non seulement pour son pétrole, mais également pour son autre « or noir », le caviar.