À 18 mois des Jeux olympiques et paralympiques Paris 2024, la Cour des comptes s’inquiète concernant le respect des engagements pris et adresse ses préconisations aux organisateurs.
Par Charlotte Le Brun
Paris accueillera bientôt un évènement hors normes qui devrait attirer 13 millions de spectateurs et 4 milliards de téléspectateurs. Son organisation cible plusieurs objectifs, dont celui d’avoir « des Jeux sobres, avec une maîtrise des coûts pour la dépense publique ». Elle vise aussi la transformation durable des territoires au bénéfice des populations. La démarche doit, en outre, s’inscrire dans une logique de transparence qui conditionnera très certainement l’acceptabilité de cet évènement par les habitants. Notons que la Cour des comptes japonaise vient d’épingler les organisateurs des Jeux olympiques et paralympiques Tokyo 2020, qui en auraient sous-estimé le coût de près de 20 %. De surcroît, par rapport au chiffre annoncé en phase de candidature, le montant total a presque doublé (1 424 milliards de yens à l’arrivée contre 734 milliards préalablement estimés).
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Le précédent japonais a donc pu inspirer la Cour des comptes françaisepour ce rapport d’étape. Une mission exceptionnelle, confiée par le Parlement, qui a conduit Pierre Moscovici, Premier président de la Cour des comptes, à formuler plusieurs alertes lors de son audition par la Commission de la culture, de l’éducation et de la communication du Sénat, le 10 janvier dernier. Dans le document final, la Cour précise qu’il n’a pas été possible d’évaluer la soutenabilité du budget, révisé au mois de décembre. Elle établira, par conséquent, dans le courant du premier semestre 2023, un rapport complémentaire. Impossible également d’évaluer l’impact de l’organisation des Jeux sur les finances publiques, ou encore le coût total de la sécurité. Le Comité d’organisation des Jeux olympiques et paralympiques (Cojop), structure qui porte la responsabilité opérationnelle de la livraison et de l’organisation ainsi que la gestion des sites olympiques, est tout particulièrement visé.
Un coût global impossible à chiffrer
Le premier signal d’alarme concerne la maîtrise des coûts. Un premier chiffre de 6,9 milliards d’euros avait été annoncé lors de la phase de candidatures dans les budgets du Cojop et de la Société de livraison des ouvrages olympiques (Solideo). Ce montant a été réévalué à 8,8 milliards d’euros à l’issue de la révision budgétaire 2022, pour une part de financement public estimée à 2,4 milliards. Cependant, selon les rapporteurs de la rue Cambon, « lecoût réel des Jeux comprendra non seulement les dépenses du Cojop et de la Solideo, maiségalement celles des collectivités territoriales, notamment la Ville de Paris (dont le budget pour les Jeux devrait avoisiner 500 millions d’euros), ainsi que les dépenses que l’État consacrera notamment à la sécurité des Jeuxet celles desopérateurs de transport. Une identification et une consolidation de ces dépenses paraissent indispensables. »
L’inflation — qui a atteint l’année dernière un taux historiquement élevé — fait peser un risque majeur en termes de dépenses supplémentaires. Les juges rappellent que le Cojop avait retenu en 2018 un taux moyen de 1,8 %, très éloigné des 5,2 % enregistrés pour l’année 2022 et des prévisions 2023 qui tournent entre 5 et 6 %. Un risque certain réside aussi dans le retard pris par le Cojop concernant la signature des contrats de mise à disposition, et dans la conclusion des marchés pour les sites dont la gestion est externalisée. Par conséquent, la juridiction financière recommande de prévoir des scénarios très précis de réduction des dépenses, et de prendre en considération, dans la révision budgétaire 2022, les ressources acquises ou en voie de l’être. Elle enjoint le Cojop à finaliser la passation des contrats dès le début de 2023. Les rapporteurs concluent que « l’objectif d’assurer l’équilibre du budget pluriannuel et celui de maintenir voire de renforcer l’ambition du projet olympique de Paris 2024 ne paraissent pas conciliables ».
Points noirs sur la sécurité et les transports
D’autres réserves ciblent la sécurité et les transports. Sur le premier volet, les responsabilités sont partagées entre l’État et le Cojop, conformément au Protocole de sécurité des Jeux signé en janvier 2021 : le Cojop gère la sécurité des sites de compétition, du Village des athlètes et du Village des médias, ainsi que de leurs abords, tandis que la sécurisation des espaces publics revient à l’État, qui peut également « reprendre la main sur l’ensemble des dispositifs » en cas de crise majeure. Quant aux collectivités territoriales, elles assument la sécurité des zones de célébration et des évènements qu’elles organisent.
Pour la Cour, ce protocole doit nécessairement être réactualisé, notamment pour prendre en compte l’organisation du relais de la flamme et de la cérémonie d’ouverture sur les quais de Seine, où plus de 5 000 personnes sont attendues et où les enjeux de sécurité sont donc essentiels. Il est plus que temps d’arrêter le plan global de sécurité des Jeux afin d’entrer en « phase de planification opérationnelle et d’organisation des moyens ». À ce sujet, la Coupe du monde de rugby en septembre 2023 fera office de mise en situation réelle. Les sages de la rue Cambon relèvent en outre « un défi capacitaire de la sécurité privée ». Le secteur est fragilisé depuis de nombreuses années et affiche des tensions de main-d’œuvre importantes. Le recours aux réserves opérationnelles de la police nationale, de la gendarmerie nationale et de l’armée devrait être anticipé afin de pouvoir planifier les missions sur lesquelles elles seraient amenées à intervenir.
Sur le volet transports, c’est aussi un véritable défi que doivent relever les organisateurs pour véhiculer les quelque 13 millions de touristes attendus. On estime à 200 000 le nombre quotidien d’usagers, sans compter les 15 000 athlètes et personnes accréditées. Défi supplémentaire : la gestion des flux est tenue de s’articuler avec le respect des exigences environnementales et d’accessibilité inscrites dans le dossier de candidature de la Ville de Paris. Le respect de ce dernier engagement envers l’intégralité du public va être conditionné par la réussite de nombreux projets encore au stade de chantiers : prolongement de la ligne 14 du métro, chantier Éole pour améliorer la desserte de l’Arena de Paris La Défense et réaménagement de la porte Maillot. En cas de retards trop importants, le risque est grand de voir apparaître des tensions sur des lignes déjà fortement sollicitées.
La réponse du Cojop
Largement étrillé dans le rapport de la Cour des comptes, le Comité présidé par Tony Estanguet a tenu à rassurer lors de sa conférence de rentrée, le 25 janvier, soutenant être « dans les temps » pour la signature des contrats. Côté sécurité, le Cojop confirme avoir lancé plusieurs appels d’offres dès le mois de juillet 2022, couvrant « 37 % des besoins » ; un deuxième appel d’offres répond à 13 % des lots et une troisième vague devrait être lancée pour solliciter de nouveaux acteurs de la sécurité privée. Le scénario de recours à l’armée proposé par la Cour des comptes serait également sur la table, même s’il n’est à ce stade pas privilégié. Étienne Thobois, le directeur général de Paris 2024, confirme que le recours au service d’ordre indemnisé a bien été anticipé dans le budget.