À la tête de la Généralité de Catalogne depuis septembre 2020, Pere Aragonès prône une nouvelle approche politique dans les relations avec le Gouvernement espagnol, tout en gardant comme objectif final l’indépendance de la Catalogne.
Par Clément Airault
Le 14 février 2021, à l’occasion des élections, la coalition des partis indépendantistes a obtenu 74 sièges sur 135 au Parlement catalan, dont 33 pour la Gauche républicaine de Catalogne (Esquerra Republicana de Catalunya, ERC), 32 pour Ensemble pour la Catalogne (Junts per Catalunya, JxCat), et 9 pour la Candidature d’unité populaire (Candidatura d’Unitat Popular, CUP). En Catalogne, les électeurs choisissent leurs députés, qui investissent ensuite le Président de la Généralité. Le socialiste Salvador Illa, Ministre espagnol de la Santé et défenseur de l’unité espagnole, était arrivé en tête avec près de 23 % des suffrages. Mais le camp indépendantiste ayant obtenu la majorité absolue, il a choisi de désigner comme président Pere Aragonès, chef de file d’ERC.
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Trouver l’équilibre
Considéré comme un indépendantiste modéré, le Président catalan n’en garde pas moins en tête l’objectif « de faire en sorte que l’indépendance de la Catalogne soit possible », comme il l’a déclaré avant d’être élu par le Parlement. Par ailleurs, depuis la proclamation d’indépendance de 2017, les principaux leaders indépendantistes sont en prison ou ont fui à l’étranger, à l’image de Carles Puigdemont, l’ancien président et leader de JxCat, exilé en Belgique. Pere Aragonès demande leur amnistie.
Une rencontre a eu lieu en septembre 2021 à Barcelone entre le Président catalan et le Chef du Gouvernement espagnol, Pedro Sánchez. Ce dernier, bien qu’opposé à l’indépendance, comprend la nécessité de trouver une solution au conflit. Le 22 juin 2021, il avait d’ailleurs gracié neuf figures politiques du mouvement indépendantiste qui étaient incarcérées depuis octobre 2017, en dépit de l’opposition de l’opinion publique, et des critiques virulentes de la droite espagnole.
Depuis son élection, le 21 mai 2021, Pere Aragonès s’efforce lui aussi de faire des compromis. « Il nous faut résoudre ce conflit politique par le dialogue, la négociation », déclarait-il juste avant sa prise de fonction. Alors que son parti estime que l’indépendance s’acquerra de longue lutte, les autres membres de la coalition indépendantiste que sont JxCat et CUP, qui sont majoritaires, refusent toute négociation, et sont partisans d’une rupture unilatérale. Cette situation laisse peu de marge de manœuvre au Président de la Généralité, qui s’est fixé pour objectif d’organiser un référendum d’autodétermination. Le Gouvernement espagnol s’y oppose catégoriquement, mais l’affaire Pegasus pourrait remettre en question cette position.
L’affaire Pegasus renforce le camp indépendantiste
Mi-juillet, une enquête menée par un collectif de 17 médias a révélé comment le logiciel espion Pegasus avait été vendu à des régimes autoritaires et utilisé pour cibler des opposants politiques ou des journalistes. Très rapidement, il est apparu que des gouvernements démocratiques y avaient eux aussi eu recours. L’Espagne en fait partie.
Le 5 mai, la directrice des services de renseignement espagnols, Paz Esteban, avait reconnu qu’une vingtaine de dirigeants catalans avaient été espionnés à l’aide du logiciel espion. Parmi eux, figuraient quatre présidents ou ex-présidents de l’exécutif de Catalogne, dont Pere Aragonès et Carles Puigdemont. À la suite de ces révélations, ce dernier a twitté : « L’Espagne est un État pourri de l’intérieur. » Pour Elisenda Paluzie, présidente de l’Assemblée nationale catalane, cet espionnage constitue une « attaque structurelle contre le mouvement catalan pour l’autodétermination ».
Les idées sécessionnistes ont gagné du terrain depuis le début des années 2000, jusqu’à conduire à la victoire du « oui » (à 90,18 % des voix) lors du référendum de 2017 sur l’indépendance en Catalogne. Mais cette tendance avait fléchi ces cinq dernières années. En mars, l’institution catalane de statistiques Centre d’Estudis d’Opinió (CEO) a révélé que le pourcentage de Catalans favorables à la sécession avait chuté à 38 %, ce qui constitue le plus bas taux depuis 2014.
Cependant, il semble que l’affaire Pegasus joue en faveur des indépendantistes. Elle a renforcé l’unité de leur coalition, et le sentiment d’appartenance des Catalans. Le Président de la Généralité Pere Aragonès, qui a récemment porté plainte contre l’ex-directrice des services secrets espagnols et la société israélienne NSO (conceptrice de Pegasus), se retrouve en position de force face au Président du Gouvernement espagnol Pedro Sánchez, affaibli par ses propres alliés politiques. En effet, ce dernier a besoin pour gouverner des votes des indépendantistes catalans d’ERC. Pere Aragonès dispose donc d’un moyen de pression pour relancer les discussions sur le référendum d’autodétermination. La première table de négociations organisée en septembre 2021 n’avait pas été concluante, Pedro Sánchez ayant alors assené que « la Constitution espagnole ne permet pas d’organiser un référendum d’indépendance ».
Dans le même temps, Pedro Sánchez se constitue une stature de chef d’État. Dans la foulée de son déplacement à Glasgow pour la COP26, en novembre 2021, il s’est rendu à Paris pour signer un accord avec l’Unesco. Cette attitude vise à replacer la Catalogne dans le concert des nations, et en particulier dans l’Union européenne. La Catalogne veut jouer un rôle de premier ordre sur les questions de relance économique ou de transition écologique.
Pere Aragonès
Président de la Généralité de Catalogne
Aujourd’hui âgé de 40 ans, Pere Aragonès est un homme politique d’expérience. Ce juriste de formation, né dans la station balnéaire de Pineda de Mar, milite au sein de la Gauche républicaine de Catalogne (ERC) depuis une vingtaine d’années. Il est le porte-parole national des jeunes du mouvement (JERC) en 2003, avant de devenir membre de l’exécutif national d’ERC jusqu’en 2010. Il est élu au Parlement de Catalogne depuis 2006.
Pere Aragonès intègre le Gouvernement en 2016 en tant que secrétaire à l’Économie, et il devient deux ans plus tard Conseiller à l’Économie et aux Finances ainsi que Vice-Président du Gouvernement catalan. À la suite de la destitution du Président Quim Torra en septembre 2020, il lui succède comme Président par intérim. Le 24 mai 2021, il est investi Président de plein exercice. C’est la première fois depuis 1936 que l’ERC se retrouve à la tête de l’exécutif catalan.