Depuis un an, le réseau social favori des jeunes traverse une zone de turbulences. La plateforme chinoise est en effet accusée de ne pas respecter les règles liées aux données personnelles des utilisateurs. Pire, elle est soupçonnée d’espionnage.
Par Stanislas Gaissudens
TikTok, propriété du groupe chinois ByteDance, est dans la tourmente depuis que les États-Unis ont fait part de leur inquiétude quant à l’utilisation par l’entreprise des données de ses utilisateurs, et la production par la plateforme de contenus potentiellement manipulés par le Parti communiste chinois à des fins de désinformation. Après l’affaire Huawei, les États-Unis se montrent particulièrement préoccupés. Et ce n’est pas le seul pays à s’inquiéter de TikTok. Plusieurs autres États menacent de l’interdire sur leur territoire.
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Si les soupçons d’espionnage sont aussi forts, c’est parce que ByteDance, comme toutes les sociétés chinoises, est soumise à la loi de 2017 qui l’oblige à collaborer avec les services de renseignement de l’empire du Milieu lorsque ceux-ci la sollicitent. Cette mesure s’étend également aux entreprises chinoises opérant hors du territoire national. Alors que les relations sont tendues entre Washington et Pékin — souvenons-nous de l’affaire des ballons météorologiques —, des soupçons d’espionnage sont légitimes, même s’il est difficile de connaître l’étendue exacte des données collectées par TikTok.
En 2020, Donald Trump souhaitait déjà interdire l’application aux États-Unis, l’accusant d’espionnage pour le compte de la Chine — sans cependant fournir d’éléments de preuve. L’autorité irlandaise de protection des données avait quant à elle ouvert, en 2021, une enquête visant à déterminer si TikTok transférait les données personnelles de ses utilisateurs vers Pékin. Désormais, les preuves existent. En novembre 2022, la plateforme admettait que des employés installés en Chine, au Brésil, en Israël ou encore en Corée du Sud aient pu accéder à des données d’utilisateurs européens, et le 22 décembre, ByteDance reconnaissait que quatre employés, licenciés depuis, avaient eu accès aux données de géolocalisation de deux journalistes américains, comme l’a révélé le magazine Forbes.
Des sanctions immédiates
À Washington, une loi a été ratifiée début janvier 2023, excluant l’utilisation et le téléchargement de vidéos depuis TikTok sur les appareils des fonctionnaires fédéraux, et un projet de loi initié au Congrès pourrait aboutir à son interdiction totale. Les gouvernements canadien et danois ont également prohibé cette application des appareils mobiles fournis aux fonctionnaires.
Le 10 janvier, le directeur général de TikTok, Shou Zi Chew, a fait le déplacement à Bruxelles afin de rassurer les commissaires européens sur les bons usages de sa société. Il est vrai que l’Union européenne était inquiète quant au respect par la société chinoise des règles européennes, en particulier celles liées aux données des utilisateurs, à la sécurité infantile et la diffusion de désinformation russe sur la plateforme. En février 2021, le Bureau européen des unions de consommateurs (BEUC) s’était inquiété de l’absence de protection des enfants contre les publicités cachées et les contenus inappropriés diffusés sur le réseau social. TikTok avait indiqué accepter de se mettre en conformité avec différentes règles de l’UE en matière de pratiques commerciales déloyales, de droits des consommateurs et de clauses abusives.
L’entreprise a confirmé en janvier dernier sa volonté de suivre ces règles, en toute transparence ; ce serait même « une priorité », à en croire Theo Bertram, vice-président aux politiques publiques en Europe de la plateforme chinoise. TikTok fait profil bas, mais cela ne suffit pas. Depuis le mois de mars, le personnel et les élus du Parlement européen et de la Commission européenne n’ont plus le droit d’utiliser TikTok sur leurs appareils professionnels.
Un rapport accablant
En France, la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) avait déjà sanctionné ByteDance pour n’avoir pas respecté les règles en matière de dépôt de cookies sur son site web. Une commission d’enquête « sur l’utilisation du réseau social TikTok, son exploitation des données, sa stratégie d’influence » a été lancée le 8 mars par le Sénat. Elle a rendu ses conclusions le 6 juillet, et elles ne sont pas positives. Dans un rapport de plus de 200 pages intitulé « La tactique TikTok : opacité, addiction et ombres chinoises », les sénateurs dénoncent l’opacité du réseau social, qui se vante pourtant d’être transparent. En décembre dernier, l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) avait regretté les « réponses incomplètes » apportées par l’entreprise, malgré de multiples auditions. TikTok ne coopère pas et refuse de donner les détails de son organisation.
Lors de leurs auditions auprès des sénateurs, les représentants de TikTok ont nié tout lien avec la Chine. À l’international, ByteDance présente l’application comme étant américaine, ou même internationale. Le groupe est immatriculé aux îles Caïmans, l’un des principaux paradis fiscaux de la planète. « Prôner la transparence en s’installant aux îles Caïmans, ce n’est pas très crédible », a ironisé le sénateur Claude Malhuret.
L’application a également été mise en cause pour sa large collecte de données, également opaque. « TikTok fait circuler de nombreuses données stockées sur des serveurs basés aux États-Unis, en Malaisie et à Singapour », selon le rapport. Son algorithme arriverait à récolter un certain nombre d’informations sur ses utilisateurs. En plus de leur identité, elle déduirait des caractéristiques jamais définies à l’inscription, comme leur profil psychologique. Ce qui est contraire aux normes européennes définies par le Règlement général sur la protection des données (RGPD). Faut-il désormais interdire totalement TikTok en France ? La question se pose, au regard des risques générés par les réseaux sociaux et la désinformation dans les guerres hybrides diligentées par des dictatures comme la Chine.
Le saviez-vous ?
TikTok se nomme Douyin en Chine
Le chiffre : 1 h 47
C’est le temps passé chaque jour en moyenne par les mineurs sur TikTok en 2022, selon une étude réalisée par l’application de contrôle parental Qustodio.
Quel impact environnemental ?
Les réseaux sociaux ne sont pas entièrement virtuels. Le numérique — et par extension les réseaux sociaux — est source de pollution. Ce qu’on appelle la « pollution numérique » englobe l’impact environnemental de l’ensemble du cycle de vie d’un appareil connecté. En effet, un appareil va rejeter des émissions de CO2, produire des déchets toxiques et participer à la dégradation de la biodiversité, de sa fabrication jusqu’à sa fin de vie. Par ailleurs, chacune des actions effectuées par l’internaute (utiliser une application, envoyer un mail, visionner une vidéo…) a un impact sur l’environnement.
L’usage d’Internet et des réseaux sociaux donne aussi lieu à une surconsommation de contenus, dont l’énorme quantité doit être stockée dans des clouds ou des datacenters. Or, ces immenses centres de stockage physique sont extrêmement polluants, car leur fonctionnement nécessite une alimentation constante en électricité. Selon l’évaluation de l’Ademe et de l’Arcep, le numérique représente 3 à 4 % des émissions de gaz à effet de serre dans le monde. À ce titre, ce secteur, et notamment la fabrication des terminaux, pollue plus que celui de l’aviation. Un rapport du Global Carbon Project explique que si Internet était un pays, il serait le quatrième le plus polluant, après la Chine, les États-Unis et l’Inde.
Concernant de manière plus spécifique les réseaux sociaux, selon une étude réalisée par Greenspector en 2021, poster et consommer du contenu revient à émettre 165,6 g équivalent CO2 par utilisateur et par jour (soit 1,4 km effectués en véhicule léger).