Spécialisée en sciences politiques, Victòria Alsina a notamment été déléguée du Gouvernement de Catalogne aux États-Unis et au Canada. Depuis sa prise de fonction en mai 2021, elle cherche à consolider la présence catalane à l’étranger, et s’efforce de défendre les droits civils et politiques des Catalans auprès des institutions internationales.
Propos recueillis par Clément Airault
L’Essentiel des relations internationales : Madame la Ministre, quelle est la politique globale du Gouvernement catalan en matière d’action extérieure ?
Victòria Alsina : Nous augmentons de manière significative le budget du Gouvernement catalan en matière d’affaires étrangères. Cette année, j’ai réussi à négocier une augmentation de 30 % pour les actions du ministère dont j’ai la charge. Ceci nous permet d’élargir le réseau des délégations politiques dont nous disposons dans le monde. D’ici la fin de l’année 2022, nous couvrirons 63 pays, contre 44 à ce jour. Ces bureaux permettent de représenter le Gouvernement catalan à l’étranger. Nous disposons également de 30 bureaux de commerce et d’investissement, couvrant 100 marchés différents. Nous avons aussi 4 instituts culturels qui promeuvent la langue et la culture catalanes à l’étranger, dont un à New York. Enfin, nous disposons de bureaux destinés à promouvoir le tourisme en Catalogne.
Ce contenu est réservé aux abonnés
En ce qui concerne les délégations politiques, que je dirige directement dans le cadre de mes attributions liées à notre agenda international, elles cherchent à créer des échanges entre la Catalogne et les pays avec lesquels nous souhaitons établir des relations. Ces délégations sont un outil que nous utilisons pour construire des projets avec des acteurs publics et privés.
Nous souhaitons créer un dialogue avec les habitants des pays dans lesquels nous installons nos délégations. Nous voyons ces dernières comme des fenêtres grâce auxquelles ils peuvent communiquer avec toute partie publique ou privée en Catalogne. Nous voulons leur faciliter la vie à tous les niveaux, non seulement du point de vue du business, mais aussi de la recherche, de l’innovation, etc.
Dans quelle mesure votre action contribue-t-elle à identifier la Catalogne comme un État à part entière ?
Nous avons les compétences pour agir en matière d’action extérieure. Le statut actuel d’autonomie de la Catalogne le précise. Nous avons toute compétence en économie, à ce qui touche au business, au tourisme, à la culture, à l’éducation, au développement durable, etc. Nous avons les capacités et le budget pour réaliser nos objectifs. Nous pouvons construire un agenda international, et nous voulons initier des projets sectoriels pour tous les acteurs catalans, publics comme privés.
En tant que gouvernement élu, nous devons avoir des interactions directes, sans intermédiaire, avec les entités avec lesquelles nous souhaitons travailler. Il ne faut pas à tout prix vouloir connecter notre action à l’étranger avec le mouvement pro-indépendance. Et ce n’est pas le cas, puisque notre action va bien au-delà de ces considérations. Notre plateforme est à la disposition de tous ceux qui souhaitent créer des connexions internationales.
Notre stratégie en termes de relations internationales se situe notamment au niveau de l’Union européenne et au niveau de la Méditerranée. Nous comprenons que notre valeur ajoutée concerne des points qui interconnectent ces deux agendas. L’un des projets importants, que nous développons avec la Croatie, est la création d’une macro-région en Méditerranée, qui nous permettrait d’obtenir des fonds européens plus importants, et de coordonner l’ensemble des réseaux existants.
Au niveau européen, quelles actions diligente la Catalogne, et sur quels sujets ?
Pour ce qui concerne Bruxelles, nous sommes inquiets que les fonds investis dans le cadre du plan de relance pour l’Europe (Next Generation EU, ndlr) ne soient pas distribués correctement, ou que ne soient pas prises en considération l’expertise et les compétences que détiennent les régions comme la Catalogne. Nous avons donc créé en mars 2021 un réseau de 30 régions de 10 États membres en Europe. Ce réseau est appelé « Regions for EU Recovery ». À Bruxelles, nous faisons pression pour que nos régions aient un pouvoir de décision plus important dans le choix de l’attribution des fonds investis dans le cadre du plan de relance.
D’autre part, parmi les actions que nous menons au niveau européen, nous voulons faire apparaître clairement que nous souffrons ces dernières années en Catalogne d’une atteinte à nos droits humains, civiques et politiques.
En premier lieu, la question de l’indépendance est un sujet de préoccupation pour une grande partie de la société catalane. Bien évidemment, nous faisons part de nos inquiétudes à Bruxelles, et expliquons à quel point il est important que les institutions européennes supportent ce référendum.
Dans un deuxième temps, nous informons des violations des droits civiques qui touchent les Catalans depuis 2017. Nous voulons des procès équitables pour les activistes et personnalités politiques catalanes. Nous sommes également révoltés par les espionnages liés à Pegasus sur des personnalités catalanes, ce qui a été confirmé par les autorités espagnoles.
Dans un troisième temps, il convient de mentionner les attaques sur le statu quo dont a été victime la Catalogne, concernant l’apprentissage de la langue catalane dans les écoles, ou encore le manque structurel d’investissements dans les infrastructures, délibérément décidé par le Gouvernement espagnol. Les dernières analyses prouvent que seul un tiers des investissements promis a été financé. Dans le même temps, à Madrid, les investissements ont été trois fois plus importants que ce qui avait été prévu. Non seulement nous sommes insatisfaits du montant d’investissement prévu sur le papier, mais aussi de la mise en œuvre qui a suivi.
Vous avez choisi de déplacer la délégation de Tunis à Rabat. Cela fait-il partie d’une stratégie visant à renforcer les liens avec le Maroc ?
Nous avons déjà des liens forts avec le Maroc, qui est le premier pays étranger pour l’investissement des entreprises catalanes. C’est un partenaire clé au niveau économique, mais il faut aussi savoir qu’en termes de population, environ 300 000 Marocains vivent en Catalogne. C’est la plus importante communauté étrangère, et de loin. C’est pour cela qu’il me semblait logique de déplacer la délégation catalane de la Tunisie vers le Maroc.
Concernant l’agenda méditerranéen, plus globalement, je considère que l’Afrique est un point clé. Cette année, nous mettons en pratique notre stratégie africaine. Cela passe par l’ouverture de trois délégations politiques en 2022. Par ailleurs, nous avons aussi mis en place une stratégie en Asie, avec l’ouverture cette année de deux délégations, l’une au Japon et l’autre en Corée du Sud. Nous verrons si nous ouvrons une délégation en Chine en 2023.
Quel est l’état des négociations concernant le projet du gazoduc MidCat, entre la Catalogne et le département de l’Aude, en France ?
Nous entretenons d’excellentes relations avec la France. Nous avons une délégation politique à Paris, avec une longue tradition d’échanges et de liens. Nous travaillons effectivement avec des régions particulières comme l’Occitanie, qui fait partie de notre réseau « Regions for EU Recovery ».
Concernant le projet de gazoduc, j’étais la première à le promouvoir au sein du Gouvernement, suite à la situation avec l’Algérie, et plus encore depuis le début de la guerre en Ukraine. C’est un projet que nous regardons avec grand intérêt. Nous voulons aussi réfléchir à la manière de penser et de construire un pipeline qui puisse à l’avenir transporter de l’hydrogène vert. Nous devons penser au futur.