Récemment créé, le ministère des Sciences et de l’Enseignement supérieur a pour objectif de préparer les jeunes Kazakhstanais au monde de demain. Le Ministre Sayassat Nourbek nous précise les grandes lignes de sa feuille de route.
Propos recueillis par Clément Airault
Pouvez-vous nous dresser un tableau du paysage universitaire kazakhstanais ?
On compte 119 universités et quelque 626 000 étudiants de l’enseignement supérieur dans le pays, et environ 62 % de tous les diplômés du secondaire s’orientent ensuite vers l’enseignement supérieur. Dans les pays de l’OCDE, cette moyenne est d’environ 67 %. La qualité de l’enseignement est notre plus grande préoccupation. Le modèle d’enseignement supérieur est toujours en phase de transition entre l’ancien modèle soviétique — lorsque toutes les universités appartenaient au Gouvernement — et un modèle décentralisé. Aujourd’hui, environ 55 % des universités sont privées et environ 60 % de nos étudiants y reçoivent une formation. Nous avons un bachelor standard de quatre ans et un modèle d’enseignement supérieur conforme au processus de Bologne.
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L’année dernière, le Président Tokayev a choisi de séparer le ministère de l’Éducation de celui des Sciences et de l’Enseignement supérieur. Nous avons donc un ministère en charge de l’enseignement préscolaire, primaire et secondaire, et notre ministère des Sciences et de l’Enseignement supérieur chargé de l’enseignement universitaire, de la recherche scientifique, de la politique recherche et développement, et de la politique linguistique.
Conformément à la vision du Chef de l’État, nous donnons beaucoup plus de flexibilité aux universités et beaucoup plus de liberté académique. Cela permet de se concentrer sur la qualité de l’enseignement et sur la recherche universitaire. Nous voulons également avoir un lien très étroit avec le marché du travail, qui évolue très rapidement. Ceux qui ne maîtrisent pas de nouvelles compétences et qui n’apprennent pas à apprendre risquent d’être exclus du marché du travail.
Quels domaines de recherche privilégiez-vous à l’université ?
Nous concentrons nos efforts scientifiques et de recherche sur 6 objectifs majeurs. Auparavant, on comptait 96 priorités scientifiques. Nous travaillons, en premier lieu, sur les questions énergétiques. Nous sommes un pays exportateur de pétrole et de gaz, et nous devons vraiment réfléchir à des énergies alternatives. Le deuxième domaine de recherche est celui des télécommunications, puis viennent l’agriculture, la logistique et les transports, la médecine et les biotechnologies, suivis des technologies de l’information. Notre pays est en pointe dans les technologies financières et la finance numérique. À titre d’exemple, nous serons la première nation au monde à lancer un programme d’études formel officiel en ingénierie et conformité de la blockchain, en partenariat avec Binance. Nous devons essayer de nouvelles choses, expérimenter. C’est pourquoi nous pensons que la culture numérique est importante. Nous avons introduit des cours d’alphabétisation numérique, en accès libre. Nous avons également créé un cours introductif à l’intelligence artificielle en partenariat avec Google, dans 14 universités pilotes. Nous avons pris la décision de le rendre obligatoire pour tous les étudiants universitaires dès l’année prochaine.
Bien que votre ministère soit très jeune, quels résultats avez-vous obtenu jusqu’à présent ?
Nous avons déjà obtenu des résultats significatifs. Nous avons donné autant d’autonomie et de flexibilité que possible à nos établissements universitaires. Désormais, 92 % du contenu du programme peut être défini par l’université. En 2019, le Président de la République a pris la décision de lancer un « atlas de nouvelles compétences et d’emplois ». Il s’agit de mon projet de recherche personnel, sur lequel je réfléchis depuis près de sept ans. Concrètement, nous avons réalisé une grande recherche à l’échelle nationale pour connaître l’évolution du paysage du marché du travail : qu’est-ce qui change dans les différents secteurs de l’économie ? quelles nouvelles compétences et quels nouveaux emplois sont demandés ? quels emplois vont disparaître ? etc. Les universités ont la flexibilité de mettre à jour leur programme en fonction de ces résultats, et de modifier la durée de leurs formations. Par exemple, le bachelor ne se passera pas obligatoirement en quatre ans. À l’Université de l’information et des technologies d’Astana (AITU, ndlr), le cursus en informatique dure trois ans, parce que les employeurs de l’industrie informatique disent que quatre ans, c’est trop long au regard de la rapidité à laquelle évoluent les technologies. Et ils ont besoin de diplômés rapidement.
Un autre grand changement s’est produit dans la politique de recherche et développement. Nous avons fondamentalement modifié tout le modèle de recherche soviétique axé sur des institutions de recherche fermées et des laboratoires nationaux. La plupart des pays les plus innovants dans le monde se concentrent sur les universités à forte intensité de recherche, et l’Amérique en est le meilleur exemple avec le MIT. Nous avons sélectionné quinze universités sur lesquelles nous nous concentrons pour créer des universités à forte intensité de recherche, qui travaillent en partenariat avec des universités étrangères.
Comment collaborez-vous avec ces universités étrangères ? Depuis l’ouverture de l’Institut Sorbonne-Kazakhstan en 2014, quelles relations ont été nouées dans le domaine éducatif avec la France ?
Il y a deux ans, le Président Tokayev déclarait que nous devions inviter les meilleures universités du monde au Kazakhstan et qu’elles y ouvrent des antennes et créent des programmes communs. L’année dernière nous avons inauguré quatre branches d’universités étrangères de tous les continents dans le pays. À titre d’exemple, pour la première fois une université américaine, celle de l’Arizona, a ouvert une branche au nord dans la ville de Petropavlovsk, et nous avons également ouvert une école d’intelligence artificielle en partenariat avec l’Université nationale sud-coréenne des sciences et de la technologie, Seoul Tech. Cette année nous en ouvrons six de plus.
Nous avons environ 86 programmes de participation et de partenariat avec des universités françaises. L’objectif principal de ces programmes concerne la langue française, la sociologie, les sciences politiques, donc principalement les sciences sociales. Il est extrêmement dommage que nous n’utilisions pas notre partenariat à son plein potentiel, car la France est renommée dans les domaines de la génétique et de la biotechnologie, de l’agriculture, des communications et des transports. Le niveau de partenariat académique n’est pas encore là.
À l’occasion de la visite du Président Macron, nous avons décidé de créer un groupe de travail avec le ministère français des Affaires étrangères, en nous concentrant sur les trois domaines majeurs que sont l’énergie — principalement nucléaire —, les télécommunications et l’espace, et les biotechnologies agricoles.
Quel regard portez-vous sur l’apprentissage de la culture et de la langue françaises au Kazakhstan ? Comment voyez-vous la relation évoluer entre nos deux pays ?
Malheureusement, nous avons perdu le français comme seconde langue étrangère. C’est dommage parce que le français est toujours la langue de la diplomatie, et la communauté francophone grandit, grâce à l’Afrique. La langue et la culture françaises étaient une partie importante de la culture soviétique, puis, dans les années 1990, l’anglais est devenu dominant, alors que de moins en moins d’écoles proposaient l’apprentissage du français. À titre personnel, pour que mes enfants apprennent le français, j’ai dû embaucher des enseignants et les payer de ma poche. Je pense que c’est très important que la décision d’ouvrir une école française ait été prise lors de la visite du Président Macron. Nous croyons toujours aux relations à long terme et nous apprécions vraiment cette amitié avec la France. Je crois de tout cœur que la visite du Chef de l’État français fera passer notre partenariat avec la France à un niveau supérieur.