Dans un environnement économique global concurrentiel et un monde en proie à des échanges conflictuels, la diplomatie kazakhstanaise mise sur le dialogue et l’apaisement, afin de faire du pivot de l’Asie centrale un partenaire majeur sur la scène internationale.
Si vous deviez définir les spécificités de la diplomatie kazakhstanaise, quelles seraient-elles ?
La diplomatie kazakhstanaise se caractérise par un mélange unique de principes et d’approches. Au cœur de notre stratégie diplomatique se trouve une approche multivectorielle distinctive. Elle permet au Kazakhstan de maintenir et d’entretenir activement des relations équilibrées et productives avec un large éventail de pays, proches ou lointains. Le Kazakhstan croit en la nécessité de saisir les opportunités et de forger des collaborations aux quatre coins du monde. Notre rôle de bâtisseur de ponts favorise le dialogue et le respect mutuel entre les différents points de vue géopolitiques.
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Le Kazakhstan a fait la preuve de ses compétences diplomatiques en servant de cadre à la résolution de différends internationaux majeurs. L’accueil du processus d’Astana sur la Syrie (ensemble de rencontres multipartites, ndlr) en 2017-2023 et les pourparlers de 2013 à Almaty sur la question nucléaire iranienne soulignent notre volonté et notre capacité à faciliter le dialogue et la négociation entre les parties en conflit.
Peu de nations peuvent se prévaloir d’une contribution au désarmement nucléaire aussi directe et significative que celle du Kazakhstan.
Nous promouvons activement des plateformes et des initiatives qui favorisent la compréhension et le respect entre les différentes confessions et cultures. L’année dernière, plus de 100 délégués, dont le Pape François et des représentants de nombreuses autres religions de 50 pays, ont participé au VIIe Congrès des dirigeants de religions mondiales et traditionnelles. Le Président Kassym-Jomart Tokayev est convaincu que les chefs spirituels sont essentiels pour surmonter les contradictions modernes et parvenir à un plus grand bien-être pour l’humanité.
Notre diplomatie se caractérise également par l’accent mis sur le développement durable, la préservation de l’environnement et le soutien d’initiatives mondiales alignées sur ces objectifs. Cet engagement se reflète dans notre stratégie de développement à faibles émissions (LEDS), qui prévoit des émissions nettes de gaz à effet de serre nulles d’ici à 2060, et dans un plan de mise en œuvre détaillé à venir pour identifier les politiques permettant d’atteindre les objectifs climatiques.
Quels liens entretient votre pays avec l’UE et ses États membres ?
Le Kazakhstan entretient d’excellentes relations avec les États membres de l’UE et collabore activement avec les institutions européennes. Des contacts réguliers à haut niveau, tels que la réunion de juin à Tcholpon-Ata entre le Président Kassym-Jomart Tokayev et le Président [du Conseil européen] Charles Michel, ont favorisé l’expansion de notre coopération à multiples facettes.
En 2023, nous avons célébré le 30e anniversaire des relations diplomatiques entre le Kazakhstan et l’UE. Au cours de ces trois décennies, nous avons établi un partenariat solide fondé sur l’amitié, la confiance mutuelle et le respect. Ces principes sont inscrits dans l’Accord de partenariat et de coopération renforcé (APCR), signé à Astana le 21 décembre 2015 et entré pleinement en vigueur le 1er mars 2020. Ce document clé a constitué un cadre juridique solide pour promouvoir le partenariat entre le Kazakhstan et l’UE dans 29 secteurs prioritaires, dans des domaines tels que les matières premières, l’énergie verte et l’innovation numérique.
Le Kazakhstan est le seul pays d’Asie centrale à disposer d’un accord de « deuxième génération » aussi complet avec l’UE. Les échanges avec ses États membres représentent plus de 30 % de notre commerce extérieur, d’une valeur de plus de 40 milliards de dollars, et 45 % des investissements directs au Kazakhstan, qui s’élevaient à 12,5 milliards de dollars en 2022. Plus de 3 000 entreprises européennes, dont de grandes multinationales, prospèrent dans notre économie.
Notre engagement politique avec les nations européennes a récemment atteint de nouveaux sommets. Nous avons accueilli des dignitaires tels que le Président allemand Frank-Walter Steinmeier et le Premier ministre hongrois Viktor Orban, avec une visite remarquée du Président Emmanuel Macron. Le Président Tokayev s’est également rendu en Allemagne en septembre dernier, soulignant la profondeur de nos interactions.
Que peut apporter votre pays, notamment en tant que point de rencontre entre les grands blocs Europe de l’Ouest et Asie, Europe de l’Ouest et Russie ?
Être un pays enclavé est déjà un défi ; le fait d’être voisin des pays les plus sanctionnés au monde — la Russie et l’Iran — et d’être également un voisin de l’Afghanistan, a fait du Kazakhstan une économie prise en sandwich par les sanctions.
La majorité de nos échanges commerciaux sont encore attribuables à l’énergie.
Nous souhaitons diversifier nos partenaires commerciaux et nos produits de base afin de réduire notre dépendance à l’égard des hydrocarbures et de marchés spécifiques. Début septembre dernier, notre Président a parlé du nouvel agenda économique du Kazakhstan qui met l’accent sur les investissements dans les infrastructures et la logistique le long du corridor de transport international nord-sud, et de la route de transport international transcaspienne. Le Kazakhstan vise à devenir une nouvelle plaque tournante pour le transport et le commerce. Plus de 80 % des marchandises destinées à l’Europe en provenance de Chine et d’Asie centrale, en termes de volume, passent par le Kazakhstan.
L’UE et le Kazakhstan partagent une série d’intérêts et de besoins dans le cadre de leurs relations. Nous nous félicitons d’un programme de coopérations bilatérales et régionales très intense. L’année dernière a été particulièrement active en ce qui concerne les visites très médiatisées de hauts fonctionnaires de l’UE au Kazakhstan. Le Président du Kazakhstan a également rencontré la Présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen.
Le 2e Forum économique UE – Asie centrale s’est tenu en mai 2023 à Almaty. Les principales conclusions de l’étude de la BERD sur la connectivité durable des transports en Asie centrale présentées à cette occasion proposent le développement d’un « réseau central transcaspien » traversant le sud du Kazakhstan et les principales villes d’Asie centrale, reliant l’Asie et l’Europe via les ports de la mer Caspienne. Le 23 octobre dernier, nous avons finalement achevé les travaux sur la feuille de route visant à approfondir les liens entre l’Asie centrale et l’UE.
Le Kazakhstan a proposé d’ouvrir un bureau de projet pour l’Asie centrale sur le changement climatique et l’énergie verte à Almaty et d’accueillir un sommet régional sur le climat en 2026 sous les auspices des Nations unies. L’expertise et le soutien de l’UE seraient inestimables pour la coopération régionale.
En ce qui concerne l’Afghanistan, nous soutenons l’appel du Conseil de sécurité des Nations unies à la formation d’un nouveau gouvernement inclusif et représentatif, par le biais de négociations. L’initiative kazakhstanaise visant à établir un centre régional des Nations unies à Almaty pourrait jouer un rôle crucial.
Il est important de noter que le Kazakhstan, qui abrite le site d’essais nucléaires de Semipalatinsk (définitivement clos le 29 août 1991), exhorte les États dotés d’armes nucléaires à s’engager en faveur d’un désarmement nucléaire complet d’ici à 2045. Dans le contexte actuel, cet appel est plus pertinent que jamais.
L’année dernière, le Kazakhstan a proposé la création d’une Agence internationale pour la sécurité biologique. Nous demandons à nos collègues européens de soutenir cette proposition. Dans notre région, l’engagement croissant des États membres a permis à la Conférence pour l’interaction et les mesures de confiance en Asie (CICA) de se transformer en une organisation internationale à part entière, qui contribue à la médiation et au rétablissement de la paix à l’échelle du continent.
En tant que président en exercice de l’Organisation de coopération de Shanghai (OCS), le Kazakhstan a lancé l’initiative d’unité mondiale pour une paix et une harmonie justes. Cette initiative propose un nouveau paradigme de sécurité, un environnement économique équitable et une planète propre.
Comment se définissent les liens avec la France, l’un des partenaires stratégiques du Kazakhstan à l’Ouest ?
Aujourd’hui, le Kazakhstan est le seul partenaire stratégique de la France en Asie centrale. La France a été le premier des États membres de l’Union européenne à obtenir officiellement le statut de partenaire stratégique pour notre pays.
Sur le plan politique, la France a toujours entretenu des relations de confiance avec le Kazakhstan, notamment dans la mise en œuvre des réformes politiques et économiques. Paris s’est engagé à soutenir la mise en œuvre réussie de réformes à grande échelle visant à construire un Kazakhstan juste et équitable, notamment dans des domaines tels que l’État de droit, le développement de la société civile et le renforcement des mesures de lutte contre la corruption, entre autres. Il est gratifiant de constater que les valeurs kazakhstanaises s’alignent sur la devise nationale française de liberté, d’égalité et de fraternité.
Astana et Paris ont réaffirmé leur volonté de renforcer leurs relations bilatérales dans divers domaines d’intérêt commun. Des bases solides ont été jetées pour développer prochainement une coopération globale entre nos deux États.
Le Kazakhstan, comme la France, souhaite renforcer davantage les liens économiques et mettre en œuvre de grands projets de haute technologie et d’investissement. Ces efforts s’alignent sur les priorités nationales des deux États et sont conformes à la feuille de route pour le commerce et la coopération économique à l’horizon 2030, signée en mai 2021.
Depuis 2005, les entreprises françaises ont investi 18,7 milliards de dollars dans l’économie du Kazakhstan. Il y a 170 entreprises à capitaux français enregistrées au Kazakhstan, dont TotalEnergies, Orano, Alstom, Vicat, Lactalis, Danone, Air Liquide et bien d’autres.
Dans un environnement très concurrentiel et dans un contexte d’instabilité financière et économique mondiale, la France, 5e investisseur et partenaire commercial majeur, continue de manifester un intérêt accru pour l’investissement dans la modernisation industrielle et des infrastructures de l’économie kazakhstanaise, et pour le renforcement du potentiel de transit et de transport du pays.
La coopération avec la France est économique, mais aussi culturelle et scientifique. Comment se manifeste le renforcement de ces échanges ?
Lors de la récente visite du Président Macron au Kazakhstan, la partie française a reconnu le haut niveau de coopérations culturelle et humanitaire. Le Président français a exprimé l’espoir que l’université franco-kazakhstanaise ouvre en septembre 2024, promouvant l’étude de la langue française et renforçant ainsi nos liens académiques.
Actuellement, plus de 600 étudiants kazakhstanais étudient en France. De plus, des écoles françaises seront bientôt établies au Kazakhstan, suite à un accord intergouvernemental qui vient d’être signé. L’Alliance française est très présente dans plusieurs villes du Kazakhstan, jouant un rôle essentiel. En outre, un Forum des recteurs d’universités kazakhstanaises et françaises s’est tenu à Almaty lors de la visite du Président français au Kazakhstan, au cours duquel plusieurs accords dans le domaine de l’éducation furent signés.
Le Kazakhstan et la France ont également discuté de l’organisation d’une exposition nationale de notre pays au Musée national des arts asiatiques – Guimet à Paris pour 2024.
Une attention particulière est accordée aux soins de santé, notamment en oncologie, et à la coopération en matière de santé maternelle et infantile, y compris l’accès aux soins de santé primaires.
En quoi la visite du Président Macron au Kazakhstan permet-elle de renforcer le partenariat stratégique, et selon quels axes ?
Il s’agissait de la première visite d’un chef d’État français dans notre pays depuis 2014 et de la deuxième rencontre de nos Présidents en l’espace d’un an, après la visite officielle du Président Tokayev à Paris en novembre 2022. Cela dit, nonobstant la paralysie provoquée par la pandémie de Covid-19 et une série de perturbations géopolitiques qui ont entravé l’agenda des rencontres bilatérales, un grand travail fut réalisé par les deux parties depuis 2017 pour former un contenu solide en termes de nouveaux projets d’investissements et d’initiatives dans plusieurs autres domaines, dont le coup de départ fut donné par nos Chefs d’État.
Les relations étroites et amicales entre le Président du Kazakhstan et son homologue français sont la clé de notre partenariat fructueux, caractérisé par un rapport particulier évident dans leurs interactions au cours de ces visites, que certains ont appelé de manière ludique la « formule Tokayev + Macron ».
Le Kazakhstan et la France ont réaffirmé leur intention de renforcer leurs relations bilatérales dans divers secteurs d’intérêt commun. Au cours de la visite, nos deux Chefs d’État ont souligné l’importance d’une communication permanente sur les questions régionales et mondiales urgentes, en insistant sur la nécessité d’un dialogue plus approfondi au sein des organisations internationales. Les deux parties se sont engagées à renforcer la coopération bilatérale dans de nombreux domaines. Elles ont mis l’accent sur le développement des infrastructures de transport et de logistique, et ont discuté de l’alignement des projets kazakhstanais sur l’initiative Global Gateway de l’Union européenne.
Le Président Macron a félicité le Kazakhstan pour son soutien au « One Planet Summit » français et a adressé à notre Président une invitation à participer au VIe Forum de Paris sur la paix en 2024 en tant qu’invité d’honneur, ce qui a été volontiers accepté.
Lors de leurs discussions sur la situation géopolitique et géoéconomique, le Président Tokayev a souligné l’importance d’adhérer à la Charte des Nations unies. « Il ne fait aucun doute que tous les différends doivent être résolus pacifiquement dans l’intérêt des populations et des générations futures », a-t-il déclaré.
Au cours du Forum d’affaires kazakhstano-français, les deux Présidents ont assisté à la signature de 24 documents commerciaux et industriels bilatéraux pour un montant total de 1,4 milliard de dollars. Les Chefs d’État ont publié une déclaration conjointe, qui reconnaît que « le Kazakhstan est le principal partenaire économique de la France en Asie centrale et que la France est l’un des principaux investisseurs dans l’économie kazakhstanaise ».