Après avoir traversé des années de crise économique, le Burundi met en place des réformes de fond, afin d’asseoir son développement futur sur des bases saines. C’est ce que nous dévoile le Ministre en charge du secteur.
Propos recueillis par Clément Airault
Quelle était la situation économique du pays, lors de l’élection du Chef de l’État en 2020 ? À quels défis avez-vous dû faire face ?
Il faut savoir que depuis 2015, le pays avait été placé sous sanctions économiques, ce qui a eu des implications. Quelques partenaires comme la Banque mondiale ou la Banque africaine de développement étaient restés auprès du Burundi, privilégiant le financement à travers des projets. Pour conséquence, pendant toute une période, le pays ne pouvait accéder à aucune forme de transfert de crédit. Des déséquilibres se sont installés. C’est de là que viennent les difficultés que nous avons actuellement. Depuis 2021, avec l’ouverture prônée par le Président de la République, les échanges ont repris avec les institutions de Bretton Woods. Les relations sont de nouveau au beau fixe et nous avons élaboré un programme avec le FMl qui a été officiellement approuvé en juillet 2023.
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Quelles réformes sont aujourd’hui mises en œuvre au niveau financier ?
Nous avons reçu de la Banque mondiale le premier décaissement de la FEC (Facilité élargie de crédit). Le Président de la République a introduit des réformes au niveau des finances publiques pour essayer de contrôler le dérapage du déficit budgétaire. Nous avons introduit la notion de budget-programme, pour nous assurer de l’efficacité et de l’efficience de la réponse. C’est de là que découle la Vision et le Plan national de développement.
Nous avons un budget qui est transparent. Chaque franc burundais dépensé a été affecté à une tâche bien précise. Nous avons révisé la loi sur la dette pour nous assurer que l’endettement est contrôlé, qu’il s’agisse de l’endettement de l’administration centrale ou de celui des agences décentralisées du Gouvernement. Nous avons également élaboré un plan de trésorerie dans lequel rentrent toutes les dépenses pour nous assurer du déficit à contrôler. Nous avons implémenté une forme d’austérité au niveau du budget. L’Assemblée nationale et le Sénat s’assurent que les dépenses programmées sont vraiment des dépenses essentielles. Nous devons absolument maîtriser le déficit et la dette.
Nous devons également faire un effort de redevabilité pour informer les Burundais. C’est pourquoi nous publions des rapports sur l’exercice du budget ou sur la dette. Tout est disponible sur le site du ministère des Finances. Nous sommes transparents.
Quelle est l’importance du numérique dans les réformes économiques et financières engagées dans le pays ?
Un plan directeur de digitalisation des services de l’État a été voté par le Parlement, qui donne la priorité à la digitalisation des finances publiques. Il s’agit notamment de la digitalisation de la chaîne de collecte des recettes et de la chaîne des dépenses. Nous avons obtenu en 2023 un financement de 42 millions de dollars de la Banque mondiale pour ce projet. Le cahier des charges est en cours de discussion. Nous en sommes à l’étape du recrutement de l’expert qui va nous fournir la solution complète.
La digitalisation permet de faire des économies, d’éviter les déperditions qui étaient enregistrées et de lutter contre la corruption et contre les malversations. La digitalisation consacre la transparence au niveau des marchés publics. Si nous réussissons bien cette digitalisation, cela permettra au pays de faire un grand pas en avant vers le développement.
D’autre part, au niveau national, plusieurs projets en rapport avec l’identification biométrique sont en cours, car si le citoyen n’est pas identifié cela complique le processus que nous sommes en train de mettre en place. Des efforts sont également engagés pour digitaliser le secteur financier au niveau de la Banque centrale, car certaines fonctionnalités ne sont pas automatisées, et certains systèmes de paiement ne sont pas suffisamment interconnectés.
L’accès à internet est également très important si nous voulons promouvoir l’inclusion financière. C’est un vaste chantier.
Le taux de change et la question de l’accès aux devises étrangères semblent problématiques pour le secteur privé. Quelle solution prônez-vous pour améliorer ces points ?
Cette situation prend son origine dans la période de crise, lorsque le taux de change a été administré. Dans ce contexte, s’est développé un marché parallèle, et c’est aujourd’hui ce marché parallèle qui pose problème et introduit une incertitude au niveau des investisseurs.
Le Gouvernement travaille actuellement avec le FMI sur une méthodologie appropriée pour supprimer le gap entre les taux de change des marchés officiel et parallèle, qui vont du simple au double. Nous avons commencé par effectuer la révision de la politique de change, et maintenant, au niveau de la Banque centrale, presque toutes les distorsions ont été éliminées. Il reste à déterminer le vrai régime de change qui permettrait d’unifier les taux. Nous sommes conscients que cette situation constitue un handicap pour le développement du pays.
Nous essayons de protéger les entreprises locales, celles qui existent déjà et celles qui sont en train de naître. Le ministère des Finances a autorisé la tenue de comptes en devises pour les particuliers et les entreprises au sein des banques depuis janvier 2024. Nous avons également introduit des dispositions pour protéger les entreprises du pays et éliminer les fraudes sur les exonérations. L’État ne peut encourager la dollarisation de l’économie. Ce que nous comptons faire, c’est redynamiser le marché officiel de la monnaie.
Et, chaque fois que les entreprises ont des problèmes, il faut qu’elles viennent nous voir pour nous dire où elles souhaitent être accompagnées.
Quels messages aimeriez-vous transmettre pour répondre aux inquiétudes des investisseurs ?
Le premier message que nous aimerions leur transmettre et ne pas se fier aux fausses informations colportées sur le Burundi. Nous travaillons sur le cadre légal dans différents secteurs, et notamment sur le cadre règlementaire minier, pour nous assurer que les contrats sont gagnant-gagnant pour l’État et les investisseurs. Nous nous assurons de respecter les standards internationaux et nous travaillons sur ce sujet avec la Banque mondiale.
La libéralisation est en marche.
Nous avons libéralisé le secteur de l’énergie. Certains investisseurs se sont déjà enregistrés. La société Virunga Power a créé Weza Power, une nouvelle société de distribution d’électricité privée qui fournira l’électricité à près de 70 % de la population burundaise. Je viens d’ailleurs de signer un accord de financement avec l’Agence française de développement de 10 millions de dollars, pour le transport et la distribution de l’énergie sur la ville de Bujumbura.
Nous sommes également en train de libéraliser les secteurs de l’eau, du thé et du café.
Par ailleurs, l’ADB (Agence de développement du Burundi) accompagne les investisseurs et leur propose des mécanismes de facilitation. Via le guichet électronique de création d’entreprise, il est possible d’enregistrer une société en ligne en moins de 48 heures. Tout est digitalisé. J’ai parfois l’impression que les gens sont accrochés au passé et ne veulent pas sentir que nous sommes en train d’avancer. Mais il faut voir la vérité en face : le Burundi est en train de changer.