L’eau est une question primordiale au Tchad, pour la survie des populations mais aussi l’accès des jeunes filles à l’école et la lutte contre le terrorisme. Alors que le Président de la Transition a choisi de tripler le budget du ministère pour 2023, le Ministre en charge du secteur livre un plaidoyer.
Propos recueillis par Laurent Bou Anich
L’eau est au cœur des préoccupations. Comment œuvrez-vous à l’accès des Tchadiens à l’eau potable sur l’ensemble du territoire ?
C’est une question importante. C’est vrai que l’eau est la grande préoccupation de ce territoire, du Gouvernement dans son ensemble. Le Chef de l’État le répète à chaque fois, l’eau, c’est la vie. Il faut la mettre à la disposition de la population tchadienne, et beaucoup d’efforts sont en train d’être faits en ce sens. Aujourd’hui, le taux d’accès moyen à l’eau potable est de 62 ou 63 %, avec de fortes disparités : entre 15 et 80 % selon les provinces. L’objectif final est que les Tchadiens aient à 100 % accès à l’eau potable. Mais il nous faut faire un bond qualitatif, quantitatif et palpable d’ici la fin de la Transition. C’est vraiment l’objectif du Gouvernement. Sans donner de chiffres, je sais tout ce qui aujourd’hui est en train d’être mobilisé par le Trésor public. Le budget du ministère de l’Eau et de l’Assainissement, rien que pour 2023, a été triplé. C’est une volonté présidentielle.
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Quelles ont été les priorités fixées sur votre feuille de route par le Chef de l’État ?
La priorité est de booster l’accès à l’eau dans toutes les régions. Sur Abéché par exemple, le projet Biteha 2, qui alimente aujourd’hui la ville en eau potable, est devenu vétuste. Une solution a été trouvée : un nouveau projet va permettre de poser une deuxième conduite. Cela prend du temps, mais il fallait le faire.
Concernant l’assainissement, aujourd’hui, 20 % de la population en bénéficie. C’est encore plus difficile que l’eau, car cela demande beaucoup de moyens. Plusieurs projets sont en cours à Moundou ou à Abéché, dans les provinces, à Ouaddaï, Wadi Fira, Guera, Logone ou Tandjilé, avec beaucoup de forages, beaucoup de châteaux, de demi-châteaux, de barrages, etc. Des efforts considérables sont engagés, par l’État et les partenaires du Tchad, comme la Banque arabe pour le développement économique en Afrique (Badea) qui finance le projet à Abéché, ou des fonds saoudiens dans plusieurs provinces.
Nous avons également des projets transversaux qui concernent plusieurs départements, tels que l’agriculture et l’élevage, ou celui de l’environnement, avec un fort volet hydraulique sur lequel nous intervenons.
Quels sont les projets présents, initiés ou déjà en place ?
Un projet est censé réaliser 380 forages dans les deux provinces de Wadi Fira et de Ennedi Est. Trois barrages vont être réalisés pour retenir l’eau, pour le renouvellement de la nappe phréatique, mais surtout pour le cheptel. C’est un projet financé par la Banque islamique de développement (BAD), nommé Projet de mise en valeur des eaux dans l’aquifère intermédiaire.
Nous avons également lancé un grand projet financé par l’Union européenne pour la ville de N’Djamena. Nous sommes en phase de lancement des appels d’offres. Ce projet est censé doubler la capacité de production en eau de la ville.
La BAD intervient dans treize provinces sur divers projets. Nous avons récemment signé une convention de financement pour trois provinces. Nous avons aussi le projet de la Banque de développement des États de l’Afrique centrale (BDEAC), qui intervient dans les provinces Ennedi Est et Ouest. Une trentaine de forages sont prévus avec une vingtaine de points d’approvisionnement en eau potable, et des stations pastorales.
Que peut-on souhaiter en termes de perspectives pour votre Département sur 2023-2024 ?
Il nous faut des résultats tangibles. Il faut que ce soit palpable. Un département comme le mien a besoin de beaucoup de moyens pour l’accompagner. Si on part du triplement du budget, c’est vraiment que c’est la priorité nationale. Il faut que nos partenaires se mobilisent aussi, pour aider les Tchadiens en ce sens, pour la vie pastorale. Sous l’effet du changement climatique, la rareté de ces ressources engendre des tensions. Beaucoup de nos conflits intercommunautaires portent autour des points d’eau. L’agriculteur et l’éleveur ne s’entendent pas.
Deuxièmement, et c’est aussi une question très importante, dans l’arrière-pays, les femmes ou les filles passent beaucoup de temps à chercher de l’eau. Pour faire face à la question de la non-scolarisation des jeunes filles, il faut des points d’eau à proximité de leur domicile pour éviter qu’elles fassent quelquefois une dizaine, voire une quinzaine de kilomètres aller-retour pour chercher de l’eau. Nos partenaires sont aujourd’hui présents, mais il faut nous aider plus. Cette année nous avons réceptionné un projet qu’on appelle PLIM — Projet de lutte contre les inondations à Moundou, au sud du Tchad —, financé à 100 % par l’Agence française de développement (AFD). Il comprenait la construction de canaux de drainage et, de plus, de bassins de rétention d’eau. Sans la réalisation de ce projet, Moundou aurait été complètement engloutie lors de l’inondation.
Vous parcourez le monde pour sensibiliser vos partenaires. Quel message leur délivrez-vous ?
On ne peut pas rester au Tchad et dire qu’on a des problèmes. J’ai fait un certain nombre de fora, comme le Forum mondial de l’eau à Dakar. Je me suis rendu en Indonésie, à Jakarta, et en Suisse l’année dernière pour la conférence de l’ONU sur l’eau. En mars prochain, je représenterai le Chef de l’État à New York pour la Conférence sur l’eau.
Cet évènement va me permettre d’exposer notre problème à la communauté internationale. Pour régler le problème de la scolarisation des jeunes filles, aidez-nous à régler le problème de l’eau, ainsi elles iront à l’école, et demain sera meilleur pour tous. La question du lac Tchad, qui a perdu presque 60 % de sa taille, est aussi importante : il faut le désensabler, pour éviter le terrorisme (car les djihadistes se réfugient dans la région, ndlr).
Ministère de l’Eau et de l’Assainissement
Des actions au cœur de la Transition
Le Ministre de l’Eau et de l’Assainissement, Alio Abdoulaye Ibrahim, n’a ménagé aucun effort pour que son Département puisse contribuer à l’application du calendrier de la première phase de la Transition. Avec la deuxième phase, il s’inscrit dans de nouvelles perspectives pour favoriser la mise en œuvre de la politique des autorités de la Transition en matière d’eau et d’assainissement.
Par Abdoulaye Thiam
L’eau constitue la priorité des plus hautes autorités qui ont la charge de la Transition. Conformément à cette vision, le Ministère de l’Eau et de l’Assainissement (MEA), sous l’égide d’Alio Abdoulaye Ibrahim, a déployé des moyens et ressources conséquents en vue de jouer pleinement sa mission.
Un grand projet à N’Djamena
Dans la capitale, les fonds nécessaires ont été mobilisés pour réaliser le projet qui consiste à approvisionner N’Djamena en eau potable. Le projet d’Adduction d’eau potable de la ville de N’Djamena (AEP-N’Djamena), baptisé Develop to build (D2B), est financé par l’Union européenne, l’Agence française de développement (AFD) et le Royaume des Pays-Bas, avec une contrepartie de l’État tchadien à hauteur de 30 %. D2B va permettre d’accroître le taux de couverture du réseau d’adduction d’eau potable dans la ville de N’Djamena, de renforcer la capacité de la Société tchadienne des eaux, d’améliorer le rendement et la densification du réseau dans les zones desservies, et, enfin, d’étendre l’accès à l’eau potable dans les quartiers périphériques. S’inscrivant dans l’atteinte des Objectifs du développement durable (ODD) des Nations unies à l’horizon 2030 (notamment l’ODD n° 6 : garantir l’accès de tous à l’eau et à l’assainissement et assurer une gestion durable des ressources en eau), ce projet vise à augmenter le taux d’accès à l’eau dans la capitale de 15 % d’ici 2025. Compte tenu des contraintes budgétaires, les études ont défini un programme de travaux réparti en quatre tranches. La première concerne le Programme prioritaire, qui vise à passer d’un taux de desserte de 30 % aujourd’hui à 45 % en 2025, et réaliser les urgences de réhabilitation du système actuel. Le Programme global, à l’horizon 2030, vise un taux de desserte en eau potable de 80 %.
Du nord au sud…
La mobilisation des eaux de Kariari vers Amdjarass, dans la partie septentrionale du pays, aujourd’hui en bonne voie, est aussi à l’actif du MEA. En effet, au cœur de l’Ennedi Est, la ville d’Amdjarass est confrontée à des difficultés d’accès à l’eau. Ce qui, en cette période particulière, constitue un véritable défi pour les autorités de Transition. Des études sont également en cours pour drainer des eaux dans cette zone frontalière avec le Soudan, au profit des populations de l’Ennedi et de ses environs.
Le déplacement du Ministre Alio Abdoulaye Ibrahim à Khartoum constitue l’une de ses actions importantes dans le cadre de sa mission. Cela lui a permis de rencontrer les autorités du Soudan afin de négocier l’acheminement vers le Tchad des conduites en fonte ductile et autres équipements devant servir à installer le réseau d’adduction d’eau potable dans le cadre du Projet BITHEA 2 à Abéché, grâce à l’appui des partenaires financiers.
La participation de la délégation tchadienne, conduite par le Ministre Alio Abdoulaye Ibrahim, à la 9e édition du Forum mondial sur l’eau, n’est pas la moindre de ses actions. Pour une première fois, constituée de plus de 20 membres, la délégation a pu échanger avec les partenaires autour des blocus liés aux procédures de décaissement, à l’instar du Projet d’infrastructures d’eau rurale dans les régions de l’Ennedi Est et de Wadi Fira (PIER-EW).
En vue de suivre personnellement la mise en œuvre des instructions du Chef de l’État dans le secteur de l’eau, le Ministre de l’Eau et de l’Assainissement, accompagné d’une forte délégation de techniciens de son Département, a effectué du 20 au 25 décembre 2022 une mission de terrain dans plusieurs localités des provinces de l’Ennedi Ouest, l’Ennedi Est et le Wadi Fira. Partout, le Ministre a assuré les populations de la ferme volonté du Président de Transition, Mahamat Idriss Déby Itno, de satisfaire les besoins de ses concitoyens en eau potable.
Dans la partie méridionale du pays, les efforts gouvernementaux pendant la première phase de la Transition, au travers des réalisations du Département, ont été marqués par l’inauguration à Moundou d’ouvrages d’assainissement, dans le cadre du Projet de lutte contre les inondations, financé par l’AFD.
Il faut noter que, dans la deuxième phase du projet, des négociations sont aussi enclenchées, et en bonne voie, pour la construction d’autres ouvrages hydrauliques dans la localité.
Vers de nouvelles perspectives
Les résolutions issues de deux sessions de l’Autorité du Bassin du Niger, et qui sont indispensables pour la restructuration de cette institution sous-régionale, permettent d’avoir un aperçu des perspectives du MEA dans le cadre de sa mission régalienne. En vue de la réussite de ces deux assises, le Ministre Alio Abdoulaye Ibrahim avait présidé la réunion du comité des experts de l’Autorité du Bassin du Niger, à laquelle avaient aussi pris part des techniciens des neuf pays membres. Cette rencontre préparatoire, qui a eu lieu du 6 au 12 octobre 2022, a contribué à la réussite de la session extraordinaire des ministres, puis de la 41e session ordinaire de l’institution, les assises des deux sessions s’étant déroulées à N’Djamena, du 7 au 8 décembre 2022.
S’agissant du volet coopération, le Tchad fait face à des difficultés d’accès à l’eau dans plusieurs autres localités, du sud comme du nord, du fait des contraintes naturelles dans les zones communément dites « de socle ». Afin de trouver des solutions, des démarches sont entreprises pour un rapprochement stratégique avec l’ambassade d’Israël au Tchad, dont la résidence se situe à Dakar (Sénégal), par le biais d’une agence de coopération et de développement dénommée Mashan.
En vue de maîtriser le taux de couverture, en plus d’autres chantiers en perspective, le MEA lancera bientôt le projet d’inventaire des ouvrages hydrauliques au Tchad.
Nations unies et Tchad : des objectifs communs
Le Ministre de l’Eau et de l’Assainissement, Alio Abdoulaye Ibrahim, et la Représentante pays du Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (UNHCR), Laura Lo Castro, ont signé le 17 janvier 2023 une Convention de partenariat dans le but de contribuer à la réalisation des objectifs communs, qui sont de renforcer durablement l’accès aux services concernant l’eau, l’hygiène et l’assainissement dans les zones affectées par les mouvements des populations au Tchad. Cette Convention prévoit la mobilisation des ressources, la gouvernance, la durabilité, le renforcement des capacités, le contrôle et le suivi de la qualité des interventions, l’appui institutionnel, au travers des services centraux et déconcentrés, afin de contribuer aux objectifs de développement durable relatifs à l’approvisionnement en eau potable et à l’assainissement dans les zones des réfugiés.
Dans son allocution, le Ministre de l’Eau et de l’Assainissement s’est félicité de l’excellente collaboration antérieure entre son Département et l’UNHCR, qui a été menée de manière dynamique malgré l’absence de convention. Comme exemple, le Ministre a cité, entre autres, la dernière campagne de soufflage et de test de pompage, s’inscrivant dans le cadre d’inventaire et de diagnostic de tous les points d’eau potable réalisés dans les zones accueillant des réfugiés et des personnes déplacées. Le transfert des données est attendu pour alimenter l’outil de gestion Siteau du CDIG situé à N’Djari.
Enfin, le Ministre assure que son Département ne ménagera aucun effort pour l’atteinte des objectifs communs fixés pour améliorer les conditions de vie de cette tranche de la population tchadienne, ou celle provenant des pays voisins.