L’élevage constitue un pilier important de l’économie nationale, mais le secteur est confronté à de nombreux défis, notamment liés à un manque d’investissement latent. Cet état de fait est en passe d’être modifié, comme l’explique le Ministre en charge du Département.
Propos recueillis par Laurent Bou Anich
Que représente le secteur dont vous avez la charge dans l’économie nationale ?
Le Tchad dispose d’un cheptel numériquement important, estimé en 2021 à plus de 137 millions de têtes toutes espèces confondues. Les productions animales contribuent significativement à l’économie nationale : 37 % du PIB agricole, 14 à 20 % du PIB national (Inseed, 2004 et 2010). Hors pétrole, le secteur constitue, selon plusieurs sources concordantes, la première contribution au PIB du pays, soit environ 300 milliards de francs CFA. En situation normale, sa part dans les exportations varie de 30 % des exportations (Inseed, 2010) à 50 % (d’après des estimations plus récentes). Selon ces mêmes sources, il assure la subsistance de 40 % de la population. C’est pourquoi l’élevage est qualifié de « seconde mamelle » de l’économie du pays. Outre sa place sociale et économique majeure, l’élevage contribue à la sécurité alimentaire et nutritionnelle des populations en leur apportant des produits à haute valeur nutritive.
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À quels principaux défis êtes-vous confronté ?
Des défis majeurs sont à relever. Le secteur élevage demeure confronté à de nombreuses contraintes qui limitent sa performance. Il s’agit, entre autres, de l’insuffisance notoire des ressources humaines, financières et logistiques pour permettre au ministère d’assurer convenablement les activités liées à son rôle de conception, de coordination, de mise en œuvre et de suivi de la politique nationale en matière d’élevage. Au premier trimestre 2023, l’effectif des agents du ministère de l’Élevage et des Productions animales, toutes catégories confondues, serait d’environ 840. Une très faible allocation sur le budget national lui est accordée, orientée principalement sur son fonctionnement. Les moyens roulants acquis depuis 2013 sont usés et ne peuvent plus assurer les déplacements sur le terrain.
Il y a également des défis d’ordre sanitaire et de productivité du cheptel. La situation sanitaire demeure sous surveillance du fait des maladies récurrentes qui occasionnent des pertes économiques considérables. Cela impose des interventions systématiques et régulières.
Le pays est reconnu au titre des grands pays d’élevage, mais la quantité de lait produite reste loin du besoin national car la production est saisonnière, avec un pic en hivernage et un arrêt en fin de saison sèche. De plus, la structure du troupeau ne reflète pas véritablement une orientation laitière.
Il convient également de noter que le mode de production est majoritairement dominé par le système d’élevage pastoral. L’alimentation du bétail est basée sur les pâturages naturels, dont l’état de la biomasse dépend de la variabilité pluviométrique. Les efforts des éleveurs sont parfois mis à l’épreuve par des épisodes de crises pastorales, dont la plus récente a eu lieu en 2022.
Quelles ont été vos priorités à votre arrivée à la tête du Département en mai 2021 ? Et quelles sont les réalisations phares des programmes et projets du ministère ?
En charge du Département depuis mai 2021, mes priorités sont celles de trouver des réponses concrètes aux défis d’insérer dans le budget du ministère une ligne pour l’acquisition de vaccins et autres intrants vétérinaires, d’augmenter l’effectif du personnel afin que le dispositif d’encadrement puisse être rajeuni, et d’équiper le ministère de moyens roulants et informatiques, surtout les unités de terrain.
Le Président de la République a d’abord imprimé sa volonté politique par la mobilisation de ressources. Le budget consacré est passé de 9 800 400 132 francs CFA en 2021 à 21 935 047 339 francs CFA en 2022 et 21 116 854 584 francs CFA en 2023. Ce qui permettra le suivi, l’encadrement et la valorisation du secteur, et d’apporter une partie des réponses aux préoccupations des éleveurs. Il convient de noter ce soutien très judicieux de l’inscription dans le budget 2023 d’une ligne d’achat de médicaments et vaccins pour un montant de 232 614 360 francs CFA.
La réelle volonté des plus hautes autorités a permis d’accroître les investissements, par exemple par une contribution de la Banque mondiale à hauteur de 100 millions de dollars dans le cadre du financement de la phase 2 pour la période 2022-2027, contre 56 millions de dollars lors de la phase 1.
Il faut aussi rappeler que la première phase du Projet régional d’appui au pastoralisme au Sahel (PRAPS) a permis la réalisation d’importantes infrastructures, notamment 16 infrastructures marchandes comprenant des marchés à bétail, postes de sortie, 154 points d’eau…, et que le pays dispose désormais, dans le cadre de la santé animale, d’une stratégie à long terme pour l’éradication de la Peste des petits ruminants (PPR) et le contrôle de la Péripneumonie contagieuse bovine (PPCB), ainsi que des outils de modélisations technique et budgétaire nécessaires au suivi de leur mise en œuvre. Dans le cadre de Pastor (programme d’appui structurant de développement pastoral), des infrastructures en appui à l’élevage ont également été réalisées : au total, 70 points d’eau (dont 6 stations pastorales), 850 km de couloirs de transhumance et 29 aires de stationnement balisées, 23 parcs de vaccination, 8 magasins de stockage, 18 pompes à motricité humaine et 10 écoles pilotes en milieu nomades, dont 8 mobiles.
Le Chef de l’État a entendu notre plaidoyer et a décidé de doter de manière exceptionnelle le ministère en moyens roulants à l’effet de renforcer notre capacité opérationnelle. Ainsi, 28 véhicules tout-terrain seront livrés dans les jours à venir.
Le Chef de l’État veut renforcer l’industrialisation du secteur, afin d’augmenter sa part de contribution dans les exportations mais aussi pour des raisons de création d’emplois pour les jeunes et les femmes. C’est dans ce cadre que s’inscrit le partenariat entre l’État et ARISE, matérialisé par un mémorandum d’entente conclu le 21 juillet 2021, ayant pour objet la mise en œuvre d’un projet global destiné à l’appui, la structuration, le développement et la gestion de la filière viande grâce aux Zones économiques spéciales (ZES). Un investissement d’au moins 500 milliards de francs CFA est attendu pour ce projet.
La dépendance partielle de notre économie à l’élevage nous impose de répondre aux crises pastorales. C’est dans ce contexte que, sur la base d’un plan d’urgence, le Chef de l’État a décrété en 2022 la mobilisation d’environ 2,5 milliards de francs CFA, qui ont permis l’achat d’aliments pour bétail et de médicaments vétérinaires, distribués gratuitement aux ménages d’éleveurs et agro-éleveurs se trouvant dans les provinces nécessiteuses. Ce geste, arrivé au moment où le pâturage s’est raréfié et où les coûts des aliments pour bétail sont devenus prohibitifs pour les petits éleveurs, a été hautement salué et très favorablement considéré par les bénéficiaires.
À court et moyen termes, quelles sont vos perspectives et vos ambitions ?
En termes de perspectives, le ministère devra s’atteler davantage à assurer des services de qualité. Une planification stratégique adaptée, assortie de propositions d’actions tendant à sécuriser et rendre plus attractif l’environnement du secteur élevage, s’impose. Les principaux questionnements sont les suivants :
- Quelles analyses critiques peut-on faire des politiques et stratégies mises en œuvre, et quels enseignements peut-on en tirer ?
- Quels sont les enjeux aujourd’hui, au regard du changement climatique, de la politique d’industrialisation du secteur ?
- Quelle vision et quelle stratégie, adaptées au contexte actuel, mettre en œuvre pour un accompagnement efficace du secteur ?
- Quelles actions les directions techniques peuvent-elles concrètement mettre en œuvre, comment, avec quels moyens et quand ?