Les réseaux sociaux sont aujourd’hui devenus incontournables pour les personnalités politiques. Twitter occupe une place très importante dans leur communication, et les gouvernements sont très assidus sur l’ensemble de ces réseaux.
Un candidat à la présidence d’un pays pourrait-il aujourd’hui remporter l’élection sans être actif sur les réseaux sociaux ? À cette question, nous pouvons vraisemblablement répondre « non ». « Changer la société sans prendre le pouvoir », réclamaient les pionniers de la culture numérique ; désormais, pour ceux désireux de changer la société ET de prendre le pouvoir, cette forme de communication est indispensable.
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Pourtant, à première vue, tout oppose la politique aux réseaux sociaux. Quand la première nécessite une certaine lenteur dans la prise de décision ainsi qu’une hiérarchie clairement définie et une géographie limitée par les frontières d’un pays, les seconds sont spontanés, rapides et universels. Ces deux forces entretiennent pourtant un lien étroit, qui ne cesse de se renforcer sous l’effet de leurs antagonismes. En 2007, juste avant les primaires démocrates de 2008 aux États-Unis, tous les journalistes communiquaient sur Twitter lors des rassemblements en faveur de Barack Obama. Sans Twitter, il n’y avait aucun moyen de partager ou de couvrir ces évènements en direct. L’iPhone n’existait pas encore. Barack Obama fut l’un des premiers à comprendre l’importance des réseaux sociaux.
Sur le réseau Reddit, l’une des applications ayant le plus d’écho à l’extérieur de la communauté a été les AMA (Ask Me Anything — « Demandez-moi ce que vous voulez »), séances de questions-réponses en ligne au cours desquelles une personnalité répondait aux questions des utilisateurs. Le site a été temporairement indisponible à cause du trafic engendré lors de la campagne présidentielle de Barack Obama en 2012.
Donald Trump, 45e Président des États-Unis, fut au cours de son mandat extrêmement prolixe sur Twitter, contribuant à généraliser une manière de faire des annonces politiques directement sur un réseau social — et, dans son cas, sans même en référer à son entourage. Twitter a pris le 8 janvier 2021 la décision de bannir définitivement le compte de Donald Trump, deux jours après que ses partisans ont investi le Capitole et interrompu le décompte des voix de l’élection présidentielle.
Propagande et manipulation
« De récents travaux de recherche ont mis en évidence le lien étroit existant entre les résultats politiques d’une élection et la nature et la quantité des échanges sur les réseaux sociaux », déclarait Charles Perez, enseignant en sciences du comportement et des réseaux sociaux, sur TV5 Monde en août 2019.
Ces cinq dernières années, les exemples ne manquent pas pour illustrer les dangers de la manipulation sur les réseaux sociaux. L’un des plus marquants est celui de Cambridge Analytica. En mars 2018, les quotidiens américain The New York Times et britannique The Guardian ont révélé comment une entreprise fondée à Londres a recueilli les données de dizaines de millions d’Américains sans leur consentement début 2014. Quelques mois plus tard, ce sont près de 50 millions de comptes utilisateurs de Facebook qui ont été piratés. Ces données personnelles ont été utilisées par Cambridge Analytica dans le but d’aider Donald Trump à remporter l’élection présidentielle américaine. La société avait développé un logiciel pour sa campagne, permettant de cibler plusieurs millions d’électeurs en fonction de leur profil.
On le sait désormais, les « bots », ces comptes gérés par des Intelligences artificielles (IA), sont au cœur de l’influence électorale depuis l’élection américaine. À cette occasion, 5 à 6 % des profils de réseaux sociaux de tendance libérale ou conservatrice étaient en réalité des IA programmées pour influencer les utilisateurs. À Hong Kong, en 2019, des milliers de comptes ont été créés par la Chine pour saper le mouvement social populaire. Ils ont été supprimés par Twitter, Facebook et Youtube car ils cherchaient délibérément et spécifiquement à semer la discorde politique à Hong Kong, et notamment à saper la légitimité et les positions politiques du mouvement de protestation sur le terrain. Les grandes plateformes américaines ont estimé que le gouvernement chinois était à la manœuvre. Certains pensent que cette « modération » par les trois géants américains n’était rien d’autre qu’une campagne d’autopromotion visant à redorer leur blason, pour montrer qu’ils défendent les « bonnes valeurs » et agissent contre la désinformation en ligne. Pour les autorités chinoises, les Gafam sont téléguidés par Washington.
La Russie est également une des nations les plus enclines à désinformer et manipuler sur la sphère Internet. Soupçonné d’ingérence dans l’élection présidentielle française, Moscou a été directement mis en cause par Emmanuel Macron en février 2020 lors de la conférence de Munich sur la sécurité. Le Chef d’État français a estimé que la Russie « allait continuer à essayer de déstabiliser » les démocraties occidentales en s’ingérant dans leurs élections et en manipulant les réseaux sociaux. À la fois outils de communication, d’influence et de manipulation, ces derniers sont dorénavant profondément ancrés dans la pratique politique.
Le Flop : Quand Ron DeSantis annonce sa candidature sur Twitter
Le républicain Ron DeSantis a officialisé sa candidature à l’investiture républicaine pour la présidentielle de 2024 le 24 mai dernier. Mais ce qui devait être un coup d’éclat médiatique a tourné au fiasco. Le gouverneur de Floride devait faire cette annonce lors d’un échange avec Elon Musk, en direct sur le réseau social Twitter. Mais de sérieux problèmes techniques ont perturbé le « space » (salon audio de la plateforme), écouté par des centaines de milliers d’utilisateurs. Le grand nombre de personnes connectées semble avoir été à l’origine des bugs informatiques. Au même instant, Joe Biden tweetait sur son compte de manière sarcastique : « Ce lien fonctionne », avec un lien vers son site de campagne pour sa réélection à la présidence. Donald Trump, lui aussi candidat pour 2024, n’a pas manqué de railler la contre-performance de son rival républicain.
Une remise en cause des médias classiques
Lors des manifestations qui ont récemment eu lieu dans le monde, notamment les gilets jaunes en France ou les marches contre les violences policières aux États-Unis à la suite de la mort de George Floyd, filmée par une adolescente et publiée sur les réseaux sociaux, ces derniers ont été un catalyseur majeur. Tout évènement est filmé, et chaque bavure policière dénoncée vidéo à l’appui. Les populations n’attendent plus l’information des médias traditionnels, elles se confrontent à la source brute, au risque toutefois d’être manipulées. Elles se renseignent sur les réseaux sociaux.
Selon une étude réalisée par le Pew Research Center, 72 % des personnes accèdent à l’information via leur famille et leurs amis, en particulier au travers des réseaux sociaux. Elles estiment qu’il est plus pratique d’obtenir l’information sur une seule plateforme, et retrouver des articles sur leur fil d’actualité est pour elles plus simple que d’aller les chercher sur les sites des médias traditionnels, qui par ailleurs sont tous présents sur les grands réseaux sociaux, qui offrent une audience importante et permettent de relayer l’actualité. Aujourd’hui, selon Fabrice Epelboin, chercheur et universitaire, « les réseaux sociaux sont devenus plus crédibles que les médias aux yeux des gens ».
Mais les réseaux sociaux sont sélectifs, alimentés par des algorithmes qui souvent ne permettent de voir que les informations partagées par les propres contacts de l’internaute. Par conséquent, l’information est plus ciblée, individualisée, sur mesure.
De plus, sur les réseaux sociaux, tout le monde peut donner son avis sur n’importe quelle question et propager des nouvelles avant même qu’elles aient été confirmées ou infirmées. Les influenceurs et autres célébrités aux millions d’abonnés partagent de nombreuses contre-vérités, comme lors du confinement en France. Le 22 mars, dans une interview pour l’émission « Oui Hustle » diffusée sur YouTube, le rappeur Maître Gims a affirmé que les Égyptiens disposaient d’un système électrique dès l’Antiquité, qui fonctionnait grâce aux pyramides. Si l’information prête à sourire, combien parmi ses 3 millions d’abonnés sur Instagram y ont cru ? Ce phénomène inquiète les professionnels de l’information, de plus en plus addicts eux-mêmes aux réseaux sociaux. D’après une étude de Cision France, 91 % des journalistes les utilisent dans le cadre de leur travail et 54 % déclarent même ne plus pouvoir s’en passer pour exercer leur métier. Les réseaux sociaux ne sont donc pas une simple mode, mais un outil de travail pour eux. Plus encore, à l’exemple du collectif 140journos créé lors des évènements de Gezi en Turquie en 2013, de nouvelles formes de journalisme peuvent émerger de cette pratique.
Les réseaux sociaux ont entraîné une modification du format informatif. La demande a changé. Le public réclame aujourd’hui une information consommable rapidement, simple à comprendre, et facilement partageable en ligne. Les journalistes ont dû s’adapter. Linda Be Diaf, journaliste, consultante en marketing digital et professeur à Sciences Po Marseille, décrypte dans son livre Journalistes 2.0 les changements notables dans ce métier. Elle explique, entre autres, cette tendance à délaisser le slow journalism ou journalisme d’investigation au profit du scoop. Mais il est un rôle propre au journaliste : celui de dénoncer les fake news, notamment lorsqu’elles émanent du politique. Dans une société qui progresse au rythme des réseaux sociaux, il est important d’avoir des professionnels pour rétablir la vérité.