En une année à la tête de la Cedeao, Umaro Sissoco Embalo peut se targuer d’avoir réussi à gérer avec tact de nombreuses crises, et d’avoir porté haut les couleurs de l’institution régionale. Il a surtout, par son leadership, impulsé une nouvelle dynamique à l’organisation.
Par Stanislas Gaissudens
La Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao), créée en 1975, traverse sans aucun doute l’une des phases les plus difficiles de son histoire. C’est dans ce contexte que le Chef de l’État bissau-guinéen, Umaro Sissoco Embalo, en a pris les rênes, le 3 juillet 2022. Dans son discours d’acceptation, il a promis que sous sa présidence tout serait mis en œuvre pour rétablir la paix et la stabilité dans la sous-région. « Malgré les défis auxquels nous sommes confrontés en raison de l’extrémisme violent et de la crise mondiale actuelle, je crois que la solidarité au sein de la Cedeao nous permettra de surmonter ces défis », a-t-il déclaré lors de son discours à Accra (Ghana), à l’occasion de la 61e session ordinaire de la Cedeao.
Ce contenu est réservé aux abonnés
S’unir contre le terrorisme
Pour le Président de la Cedeao nouvellement élu, les priorités sont d’ordre sécuritaire. Le terrorisme est une hydre dont il est difficile de se débarrasser, à moins de faire preuve de solidarité. Umaro Sissoco Embalo l’a répété le 11 janvier dernier, appelant les pays de l’organisation ouest-africaine à épauler le Burkina Faso face à la menace djihadiste. Cette nation est confrontée depuis 2015 aux attaques de groupes djihadistes qui ont fait des milliers de morts et au moins deux millions de déplacés, et sont en partie à l’origine de deux coups d’État militaires fomentés en 2022 dans l’intention affichée de venir à bout de cette instabilité. Le capitaine Ibrahim Traoré, Président de Transition, qui a pris le pouvoir le 30 septembre 2022 par un coup d’État, s’est donné pour objectif « la reconquête du territoire occupé par ces hordes de terroristes », notamment dans le nord-ouest du pays.
Lors de leur dernière entrevue, Umaro Sissoco Embalo a réaffirmé la disponibilité de l’organisation ouest-africaine à soutenir et à accompagner le Burkina Faso dans la lutte qu’il a engagée contre le terrorisme, selon un communiqué de la présidence burkinabè. Il s’agit surtout de protéger les populations. En mai dernier, le Président a fermement condamné sur sa page officielle Twitter la tuerie survenue le 20 avril à Karma, dans la province du Yatenga, au nord du Burkina Faso. « Au nom de la Cedeao, je condamne avec grande fermeté et indignation le génocide se perpétrant au Burkina Faso dans la région de Karma. Avec mon entière compassion, je présente mes condoléances attristées aux familles et proches des victimes et souhaite prompt rétablissement aux blessés. Les responsables de ces tueries seront identifiés et jugés par la Cour pénale internationale », a-t-il indiqué. L’utilisation du terme « génocide » a beaucoup fait parler. Umaro Sissoco Embalo, né d’une mère d’origine malienne et d’un père burkinabè, est particulièrement sensible à la situation de ces pays, et c’est pourquoi il est attaché à la bonne tenue des transitions démocratiques.
Intransigeance pour les putschistes
Sur la gestion des transitions au Mali, au Burkina Faso et en Guinée, le Président bissau-guinéen n’a cessé depuis sa prise de fonction en juillet 2022 de demander avec fermeté aux militaires d’organiser des élections et de rendre rapidement le pouvoir.
Il a envoyé le 17 octobre 2022 un courrier au Président par intérim de la République de Guinée, Mamadi Doumbouya, l’enjoignant à accepter le calendrier de la Cedeao avant 22 octobre, sous peine de sanctions. L’organisation sous-régionale avait en effet donné cette date butoir aux autorités guinéennes pour revenir à « une durée de transition raisonnable et acceptable », c’est-à-dire inférieure aux trois ans jusque-là annoncés.
Concernant le Burkina Faso, le Président en exercice de la Cedeao s’est dit rassuré de la bonne conduite de la transition et de l’organisation d’élections, avec un retour des civils au pouvoir au plus tard en juillet 2024. Le capitaine Traoré a promis de respecter ses engagements.
Le 9 février dernier, le Burkina Faso, le Mali et la Guinée ont demandé, dans une déclaration commune, la levée de leur suspension de la Cedeao et de l’Union africaine (UA). Les trois juntes mettent en avant la menace djihadiste pour appuyer leur requête de réintégration dans les instances régionales africaines. Bien que la lutte contre le terrorisme soit une priorité, le Président de la Cedeao reste intransigeant quant sur le retour des civils au pouvoir. Le 17 février, la Cedeao a donc décidé de maintenir les sanctions et d’imposer des interdictions de voyage aux membres des gouvernements du Mali, du Burkina Faso et de la Guinée.
Le 28 juillet, lors d’une conférence de presse conjointe avec Emmanuel Macron, Umaro Sissoco Embalo a rappelé « qu’il est inadmissible et inacceptable de faire des coups d’État », et que seul « le peuple a le droit de sanctionner les dirigeants, mais pas avec des coups d’État militaires ». Il sait de quoi il parle puisqu’il a lui-même échappé le 1er février 2022 à une tentative de putsch menée, selon les autorités bissau-guinéennes, par l’ancien Chef de la marine nationale Bubo Na Tchuto.
À l’occasion de sa visite en France, Umaro Sissoco Embalo a aussi annoncé sa volonté de créer « une force anti-putsch », dont il est encore difficile de savoir à quoi elle pourrait ressembler tant cela touche à la question de la souveraineté nationale des États. On se souvient que la force armée de la Cedeao, Ecomog (Economic Community of West African States Cease-fire Monitoring Group), avait essuyé de nombreuses critiques lors de sa création en 1990. Mais si les relations sont tendues entre la Cedeao et les juntes militaires, Umaro Sissoco Embalo sait se faire diplomate.
Un homme de médiation
Le Président de la Cedeao a notamment participé, avec l’aide de la médiation togolaise, à dénouer la crise entre la Côte d’Ivoire et le Mali. Le 10 juillet 2022, 49 soldats ivoiriens étaient arrêtés au Mali. Les 46 soldats qui restaient détenus ont finalement été graciés par les autorités maliennes le 6 janvier 2023.
Umaro Sissoco Embalo est un fin diplomate. Le 21 février, le Président tunisien Kaïs Saïed a tenu des propos racistes à l’égard des migrants d’Afrique subsaharienne, estimant qu’ils contribuaient à « modifier la composition démographique de la Tunisie ». Face à l’indignation que ces propos ont suscité, le Président bissau-guinéen s’est déplacé en Tunisie le 9 mars pour y rencontrer son homologue tunisien et clarifier la situation. Tout en apportant son soutien à ses frères ouest-africains, il a fait en sorte de ménager Kaïs Saïed, parlant d’une mauvaise compréhension de son discours.
Au-delà des frontières de l’Afrique, le Président en exercice de la Cedeao s’est déplacé le 24 octobre en visite officielle à Moscou. Il est le second chef d’État africain à être reçu par Vladimir Poutine, après le Président de l’UA et du Sénégal, Macky Sall, qui s’était rendu à Sotchi quatre mois auparavant. Umaro Sissoco Embalo est ensuite allé à Kiev, pour y rencontrer le Président Volodymyr Zelensky. Il est le premier chef d’État africain à se rendre en Ukraine depuis le début de l’invasion russe le 24 février 2022. Il portait un message de fraternité, espérant « vraiment trouver un chemin pour la paix entre la Russie et l’Ukraine ».
La 63e session de la conférence des chefs d’État de la Cedeao s’est tenue le 9 juillet dernier, pour la première fois à Bissau. Umaro Sissoco Embalo, qui n’était pas candidat à sa réélection, a cédé sa place au Président nigérian, Bola Tinubu. Si Umaro Sissoco Embalo a appelé à plus de solidarité et plus d’unité au sein de l’espace communautaire, les chefs d’Etat présents ont salué les efforts démocratiques entrepris en Afrique de l’Ouest, avec des élections libres et démocratiques au Nigéria, en Sierra Leone, et la décision du Président sénégalais Macky Sall de ne pas briguer un 3e mandat.
Biographie
Umaro Sissoco Embalo est né à Bissau le 23 septembre 1972. Ce spécialiste des affaires africaines et moyen-orientales dispose d’une grande expertise sur les questions de défense, de coopération internationale et de développement. Polyglotte, il a effectué ses études à Lisbonne et Madrid. Il a servi dans l’armée et a atteint le grade de général. Conseiller à la sécurité nationale de plusieurs chefs d’État et de gouvernement, puis Premier ministre de novembre 2016 à janvier 2018, il a été investi le 27 février 2020 en tant que Président de la République et Chef de l’État de Guinée-Bissau. Le 3 juillet 2022, il est élu Président de la Cedeao en remplacement du Président ghanéen Nana Akufo-Addo, en exercice depuis 2020.