Les dépenses militaires de la Chine s’accroissent d’année en année et contribuent à renforcer une armée qui compte aujourd’hui parmi les plus puissantes au monde. Il convient de s’interroger sur les visées de cette militarisation.
Par Stanislas Gaissudens
La Chine serait aujourd’hui la première puissance économique au monde, et elle aspire à en devenir aussi la première puissance militaire. L’époque où Pékin faisait profil bas est bel et bien terminée. Avec Xi Jinping, l’empire du Milieu est de retour et se donne les moyens de ses ambitions. Le renforcement de l’Armée populaire de libération (APL) est l’un des pans du « grand renouvellement de la nation chinoise » cher au président et commandant en chef de l’APL. L’objectif est de disposer d’une armée de « classe mondiale » d’ici à 2049, date du centenaire de la fondation de la République populaire de Chine.
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Moderniser l’armée
Le budget alloué à l’APL a augmenté de 83 % entre 2009 et 2018, et les dépenses militaires croissent de manière exponentielle. Le 5 mars 2022, le Premier ministre chinois Li Keqiang a présenté le budget pour l’année ; la part allouée à la défense a augmenté de 7,1 % (soit plus qu’en 2021, où cette progression était de 6,8 %). Avec une enveloppe de 1 450 milliards de yuans (214 milliards de dollars), la Chine dispose du deuxième budget de défense mondial — qui reste malgré tout loin derrière les États-Unis (740 milliards de dollars prévus pour 2022).
Tout est mis en œuvre pour renforcer la puissance militaire chinoise. Sous Xi Jinping, la stratégie de fusion civilo-militaire, initiée dès les années 1990, retrouve un nouveau souffle. Cette stratégie a permis de dérèglementer l’industrie de la défense en encourageant le secteur privé à investir, développer et fabriquer des équipements militaires. L’objectif est d’augmenter la concurrence, et ainsi d’accélérer la modernisation de l’APL. D’importants efforts ont été entrepris afin de mécaniser l’armée. Ce jalon a été atteint d’une manière générale en 2020, selon les déclarations du porte-parole du ministère de la Défense chinois, cité dans le rapport annuel du Pentagone à destination du Congrès américain, intitulé« Military and Security Developments Involving the People’s Republic of China ».
Du point de vue des effectifs, le rapport fait état d’environ 975 000 militaires d’active chinois, dont l’entraînement s’est renforcé. Les techniques de combat et stratégies ont évolué, et les exercices militaires se sont multipliés. L’APL se modernise à tous les niveaux. L’utilisation des nouvelles technologies, et notamment des satellites, permet une évolution rapide. L’aviation chinoise, qui compte plus de 2 800 avions, est la 3e au monde et la plus importante dans la sous-région. Elle dispose de bombardiers H-6 à capacité nucléaire.
Le pays possède l’arme nucléaire depuis 1964.Il s’est engagé auprès du Conseil de sécurité des Nations unies à empêcher la propagation des armes atomiques, et pourtant ne cesse depuis une dizaine d’années d’augmenter, de moderniser et de diversifier son arsenal nucléaire. Pékin continue d’assembler de nouveaux missiles nucléaires, avec l’idée d’en posséder 700 d’ici 2027, et au moins 1 000 en 2030, selon le rapport du Pentagone publié en 2021. Face aux critiques, notamment américaines, Fu Cong, le directeur du service de contrôle des armements au ministère chinois des Affaires étrangères, a répondu le 4 janvier dernier que la Chine entretenait ses « capacités nucléaires au niveau minimal requis pour [sa] sécurité nationale », et argué que les États-Unis devraient s’occuper de réduire leur propre arsenal, fort de 5 500 têtes nucléaires, avant de faire la leçon à la Chine.
Moderniser l’armée
Selon les déclarations du Parti communiste chinois, l’APL doit évoluer et se renforcer afin de permettre au pays « de combattre et gagner des guerres » contre « un ennemi fort », non défini. Le rapport de 2021 du ministère de la Défense américain sur la Chine établissait qu’il s’agissait probablement d’un « euphémisme pour les États-Unis ». Pékin a ouvertement annoncé vouloir concurrencer Washington en tant que superpuissance militaire. S’il existe une volonté de rivaliser avec l’Amérique, la possibilité de soutenir un affrontement avec elle n’est pas exclue.
Le Président Xi Jinping n’hésite pas à se faire menaçant, notamment sur les questions liées à l’île de Taïwan, que la Chine considère comme faisant partie intégrante de son territoire, et qui constitue pour les forces armées chinoises un « enjeu stratégique ». Pékin n’exclut pas de s’en emparer par la force, et s’y prépare. En 2021, l’APL a multiplié les incursions dans la zone d’identification de défense aérienne de Taïwan, en réponse notamment à des visites de hauts responsables américains dans l’île. Plus récemment, des « exercices orientés vers le combat » ont été menés. Mais une conquête de Taïwan impliquerait un débarquement sur l’île et l’utilisation de plus de navires d’assaut amphibies (landing platform docks [LPD]) que n’en dispose la Chine à ce jour.
La stratégie navale se concentre pour l’instant sur le renforcement des capacités hauturières. Depuis quelques années, plusieurs porte-avions et autres destroyers sont sortis du chantier naval de Jiangnan, dont le dernier en date, le porte-avion Fujian, long de 320 m, qui a été mis à l’eau le 17 juin dernier. La marine chinoise est aujourd’hui la plus importante au monde, puisqu’elle dispose d’environ 355 navires et sous-marins.
Ces choix témoignent de volontés expansionnistes dans la zone indo-pacifique. En effet, Pékin revendique sa souveraineté en mer de Chine méridionale (vis-à-vis notamment du Vietnam et des Philippines) et en mer de Chine orientale (sur les îles Senkaku contrôlées par le Japon). Les États-Unis envoient régulièrement des navires de guerre afin de contrarier ces visées. C’est également pour contrer ces ambitions qu’ont été formés une alliance militaire tripartite avec l’Australie et le Royaume-Uni (Australia, United Kingdom & United States [Aukus]), et un Dialogue quadrilatéral pour la sécurité (Quad) avec le Japon, l’Australie et l’Inde.
Pékin supporte de moins en moins la présence de forces navales américaines dans la zone indo-pacifique. Le 5 mars, Li Keqiang a affirmé que la Chine était résolue à « combattre les […] ingérences extérieures ». Par ailleurs, Xi Jinping a obtenu le soutien de Vladimir Poutine pour dénoncer « l’influence négative pour la paix et la stabilité » des États-Unis dans la région, lors d’une rencontre organisée avant l’ouverture des Jeux olympiques de Pékin, en février. Depuis, la Russie a envahi l’Ukraine et s’est enlisée dans un conflit qu’elle ne maîtrise plus. La Chine suit avec attention le déroulement de la guerre en Europe, et au regard de l’échec stratégique de Vladimir Poutine, une invasion à court terme de Taïwan semble peu probable. « Pas de conflit, pas de guerre : c’est le consensus le plus important », a rappelé fin juillet Qin Gang, l’ambassadeur chinois aux États-Unis, lors du Forum sur la sécurité d’Aspen.