Alphonse Ntumba Luaba revient pour L’Essentiel des relations internationales sur cette année de mandature de la RDC à la tête de l’Union Africaine (UA), sur les défis rencontrés et la continuité de l’action. L’heure est au bilan.
Propos recueillis par Laurent Bou Anich
L’Essentiel des relations internationales : En quoi la présidence de l’UA était inédite pour la RDC ?
Alphonse Ntumba Luaba : C’était une expérience assez nouvelle pour la RDC. Le Président Tshisekedi n’avait jamais assuré la présidence en exercice d’une organisation quelconque, même s’il était Premier Vice-Président de l’UA l’année précédente. Il a fallu rapidement s’organiser, en se dotant d’un panel composé d’éminentes personnalités ayant de l’expérience dans différents domaines.
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Auparavant, la RDC ne brillait pas par une participation assidue aux réunions des organisations régionales, et en particulier de l’UA. Sa présidence en exercice a marqué le retour du Congo sur la scène panafricaine. Ce qui est très important, après un temps d’éclipse diplomatique, c’est que le Président revienne sur la scène internationale pour solutionner des problèmes, et non l’inverse. On a vu pour la première fois le Congo réunir des grands pays africains, et pour la première fois intervenir au Conseil de sécurité. Avec Félix Tshisekedi, on a vu le Congo retrouver sa crédibilité, sa légitimité, et sa respectabilité diplomatique.
La RDC est redevenue une plaque tournante diplomatique. Nous avons réussi à faire venir en RDC tous les présidents des pays limitrophes. Le Chef de l’État n’a pas pu rendre visite à tout le monde mais il a fait son possible pour rencontrer le plus possible de ses pairs.
Le Congo avance. Au cours de cette année 2022, Félix Tshisekedi va revêtir la casquette de Président de la Communauté de développement de l’Afrique australe (SADC). Il est depuis le mois de janvier 2022 président de la Communauté économique des États de l’Afrique centrale (CEEAC).
Quelles ont été les grandes priorités de Félix Tshisekedi lors de son mandat à la tête de l’UA ?
On devait s’inscrire nécessairement dans l’agenda 2063 pour l’Afrique que nous voulons construire au centenaire de l’UA. La thématique annuelle de l’UA était « Arts, culture et patrimoine ». Dans ce cadre, le Président a voulu qu’on entende le peuple africain, et il s’est donné comme objectif spécifique : « l’Afrique que nous voulons, une Afrique au service des peuples africains ».
D’abord, il fallait assurer la survie de ces peuples africains, leur résilience, la lutte contre le coronavirus, avec les moyens du bord. Nos partenaires extérieurs ne nous ont donné que ce qu’il leur restait de leurs vaccins ou de masques protecteurs. Il y a eu une bonne coordination entre le Président Tshisekedi et le Président Cyril Ramaphosa, qui avait été désigné au moment de l’investiture du Président congolais envoyé spécial de l’UA en ce qui concerne la lutte contre la Covid-19, et le Centre de prévention et de contrôle des maladies de l’UA (Africa CDC). La préoccupation était alors de faire en sorte qu’il y ait une distribution équitable des facteurs protecteurs, dont les masques et autres produits sanitaires, et que l’Afrique ait une part équitable dans la distribution des vaccins. La couverture est encore insuffisante mais, heureusement, il y a eu une forte résilience des populations africaines. La lutte que nous menons aujourd’hui vise à ce que les laboratoires cèdent les brevets, et permettent à l’Afrique de développer sa capacité à fabriquer ses propres vaccins.
Avec l’UA, nous avons œuvré à uniformiser les prix des tests, et la gratuité a été mise en place dans un certain nombre de pays. L’essentiel était de permettre au plus grand nombre d’Africains d’avoir accès à ces tests. Il y a eu une très bonne collaboration entre pays africains mis en réseau. Je dois reconnaître les efforts logistiques engagés, à la demande de l’UA, par des compagnies panafricaines comme Ethiopian Airlines ou Kenya Airways pour la distribution des vaccins. Concernant la lutte contre la pandémie, je pense que l’objectif a été atteint car nous n’avons pas connu de catastrophe. Nous avons pu préserver les populations. Maintenant, la question de la relance des économies africaines se pose, et ce n’est pas facile.
L’émancipation de la femme et l’avenir de la jeunesse comptent énormément pour le Chef de l’État. Quels projets ont été mis en place en ce sens sous sa mandature de l’UA ? Le Président Tshisekedi a fait en sorte que l’UA se tourne davantage vers les peuples africains et soit à l’écoute de leurs besoins, de leurs attentes, en particulier pour les femmes et les jeunes. Parmi les grandes réalisations, on peut parler du domaine du genre : la Déclaration sur l’égalité des genres a été adoptée à Kinshasa. Il faut savoir que la RDC compte des femmes aux plus hauts postes de commandement, dans l’armée ou la police.
Il s’est tenu une grande réunion de fond sur les réparations des femmes victimes de violences sexuelles et de viols, soutenue par le Dr Mukwege. Plusieurs présidents étaient présents à Kinshasa pour parler de la masculinité positive. Nous voulons créer un cercle vertueux de leaders politiques et sociaux qui puissent faire avancer la cause de la femme et de la jeune fille en Afrique. C’est une conviction profonde du Chef de l’État que l’Afrique ne peut pas se développer si les hommes freinent la participation des femmes au processus politique, à l’émancipation. Nous pensons que Macky Sall, qui a participé au sommet, va continuer le combat.
Nous avons beaucoup fait pour les femmes. Nous devons faire davantage pour la jeunesse. Nous avons organisé une académie virtuelle des jeunes Africains qui ont pu échanger avec le Président Tshisekedi, pour voir quels sont les défis du futur. Il reste beaucoup à faire : le Fonds pour la promotion de l’emploi jeune n’est pas encore suffisamment fourni, appuyé. On constate cependant avec plaisir que des startups africaines ont émergé et se sont mises en réseau. Cela nous prouve que l’Afrique doit compter sur sa jeunesse.
Comment le Président Tshisekedi a-t-il géré, lors de sa présidence de l’UA, les coups d’État successifs et la mauvaise gouvernance ?
Dans ce domaine, je voudrais d’abord dire que le Président Tshisekedi a réussi à renouer le fil du dialogue entre les trois pays parties prenantes dans le grand barrage de la Renaissance. Un sommet intergouvernemental réunissant les ministres des Affaires étrangères et de l’Eau et de l’Irrigation de l’Éthiopie, de l’Égypte et du Soudan s’est tenu à Kinshasa. Nous avons pu faire avancer ce dossier. Malheureusement, les évènements inattendus en Éthiopie et au Soudan n’ont pas permis de réaliser tout ce que nous souhaitions. C’est un dossier que nous devons remettre au Président Macky Sall.
Si nous parlons des crises en Guinée, au Mali, de la rupture entre le Maroc et l’Algérie, ou du Tchad, il est vrai que le Président Tshisekedi obéit d’abord aux règles de l’UA, et ces règles veulent qu’on donne la priorité à deux structures par application du principe de subsidiarité et de proximité. C’est la communauté régionale la plus proche du pays où se déroule la crise qui gère, au nom de l’UA, cette crise, et l’UA vient endosser la décision ou recommandation prise par cette communauté. Le Conseil de paix et de sécurité de l’UA gère la situation en partenariat avec la communauté économique régionale. Macky Sall, dont le pays est dans la zone Cedeao, aura à cœur de trouver une solution. Il sera un trait d’union utile entre le Mali et l’UA.
Dans le cas de la crise au Tigré, le Président Tshisekedi a pris son téléphone pour parler au Premier ministre Abiy Ahmed ou à la Présidente Sahle-Work Zewde, pour les exhorter au dialogue. La dernière libération des prisonniers d’opinion est une fenêtre ouverte sur un dialogue éventuel, que l’UA entend encourager. Il ne faut pas couper les fils du dialogue pour éviter l’enfermement.
Le Président est resté sur les principes fondamentaux de l’UA. Il n’a pas transigé avec le retour à l’ordre constitutionnel, le renforcement de la démocratie, le renforcement de la bonne gouvernance.
De mon point de vue, une transition n’est jamais l’équivalent d’un mandat. Il y a de quoi dialoguer avec ceux qui sont au pouvoir au Mali ou en Guinée, pour arriver à trouver un temps raisonnable pour finir la période de transition. Il faut que ceux au pouvoir au Mali acceptent la discussion.
D’autre part, notre Vice-Premier ministre et Ministre des Affaires étrangères, Christophe Lutundula Apala, a été actif. Il a participé aux réunions concernant la Libye qui se sont tenues en France.
Parmi les grands défis figurait la lutte contre le terrorisme. Quelle analyse faites-vous des avancées de l’année dernière ?
Ce terrorisme gangrène le Sahel, mais la RDC est un pays-continent : ce qui touche l’Afrique touche également la RDC. L’arrivée d’une activité terroriste à l’est du pays est une nouveauté qui peut inquiéter. La paix et la stabilité passent par la neutralisation des réseaux criminels, quels qu’ils soient. Si on stabilise l’est du Congo, on stabilise aussi une bonne partie de l’est de l’Afrique.
Lors de la dernière réunion de l’UA, le Président Tshisekedi a rappelé l’importance qu’il accordait à la mutualisation des forces armées. Il pense qu’il est temps que l’architecture africaine de la sécurité soit effective. Il faut que les pays africains donnent plus de moyens en hommes et en ressources au Fonds africain de paix et de sécurité de l’UA. Il faut que la fameuse Force africaine devienne effective. L’ONU a été sollicitée pour l’opérationnalisation de cette Force africaine dans les plus brefs délais. Cela doit devenir une force subsidiaire, ce qui serait une bonne chose, au lieu de constituer des forces de maintien de la paix onusiennes qui restent en place durant des dizaines d’années.
Selon vous, quels sont les plus grands défis de l’UA pour les années à venir ?
Le Président Tshisekedi a débuté son mandat avec beaucoup d’ambitions et était porteur d’une grande vision, non seulement pour la RDC mais aussi pour l’Afrique. Deux facteurs ont entravé ces ambitions : le facteur temps, car une année est courte, et la pandémie de Covid-19, dont nous pensions qu’elle se stabiliserait mais qui a continué de nous accaparer avec l’apparition de nouveaux variants.
L’UA est à une étape, et il faut continuer à faire en sorte d’assurer l’effectivité de nos institutions. Il faut que les actes suivent les paroles. Il faut tirer les leçons de la Covid-19 pour faire une Afrique résiliente, qui compte sur ses propres capacités. Il faut une Afrique apaisée, qui mette en œuvre ses propres actes, dont le protocole sur la démocratie, la bonne gouvernance et les élections. Sur le fond, il s’agit toujours de faire avancer l’Afrique.
Biographie
Docteur en droit international public, Professeur à l’université de Kinshasa et auteur ou coauteur de nombreux ouvrages sur l’UA, spécialiste en droit constitutionnel et sciences politiques, Alphonse Ntumba Luaba a été député, Vice-Ministre de la Justice, Ministre des Droits humains, Secrétaire général du Gouvernement de transition, Directeur national de l’Unité d’exécution du Programme national de désarmement, démobilisation et réinsertion sociale (UEPNDDR).
Il jouit d’une expérience considérable à l’échelle internationale et régionale, et d’une parfaite connaissance des enjeux politico-économiques en Afrique centrale pour avoir été Secrétaire exécutif chargé de la coordination des programmes à la Communauté économique des pays des Grands Lacs (CEPGL) de 2008 à 2011, puis Secrétaire exécutif de la Conférence internationale sur la région des Grands Lacs (CIRGL) jusqu’en juin 2016. Il a été nommé coordonnateur du Panel chargé d’accompagner la RDC dans sa présidence de l’UA pour l’exercice 2021-2022 par l’ordonnance du 30 octobre 2020.