Un an après sa prise de fonction à la tête de l’Union Africaine (UA), le Président Félix Tshisekedi a passé en février 2022 le flambeau à son homologue sénégalais Macky Sall, lequel va être confronté à de nombreux défis, y compris internes à l’organisation.
Par Stanislas Gaissudens
Après avoir été l’année passée Premier Vice-Président de l’UA, Macky Sall a pris en février 2022 la tête de l’organisation panafricaine, qui continue à se réformer en dépit des aléas sanitaires et géopolitiques. Il chapeaute pour un an la Conférence des chefs d’État, qui est chargée de fixer les objectifs de l’UA. Le Président de la RDC, Félix Tshisekedi, a passé le flambeau à son homologue sénégalais. Faut-il pour autant parler de transition ? Ce n’est pas certain, au regard de la similarité des valeurs des deux Chefs d’État, qui se sont par ailleurs rencontrés à plusieurs reprises en 2021.
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Des points communs
Félix Tshisekedi et Macky Sall partagent les mêmes valeurs, faites d’équité et de respect des droits de l’homme. Ils se sont rencontrés le 25 novembre à l’occasion du Sommet sur la masculinité positive, organisé à Kinshasa, à l’initiative du Président congolais. Lors de cette Journée internationale de lutte contre les violences faites aux femmes, les cinq Chefs d’État présents se sont engagés « à veiller à ce que les politiques et les mesures nécessaires soient mises en place par les États pour s’attaquer fermement à toute forme d’impunité ». Dans leur déclaration, ils se sont engagés à adopter une convention au sein de l’UA qui servira de cadre juridique pour mettre fin aux violences faites aux femmes et aux filles sur le continent, et ont lancé une campagne en ce sens, en mettant un accent particulier sur les situations de conflit et de post-conflit. Cet axe de travail sera sans doute développé au cours de l’année par le nouveau Président en exercice de l’UA, dont le pays a assuré la présidence du Conseil des droits de l’homme de l’ONU en 2019.
Les points communs entre l’ancien et le nouveau Président de l’UA se retrouvent également dans leurs parcours politiques et leurs conceptions de la démocratie. Félix Tshisekedi a été élu député national en 2011, mais il a été déchu de son mandat en 2013 car il refusait de siéger à l’Assemblée nationale, pour dénoncer les fraudes. Entré dans l’opposition, il fut l’un des initiateurs du Dialogue congolais pour le respect de la Constitution et pour l’alternance pacifique en RDC, et l’un des artisans de la plateforme Cap pour le changement (CACH) constituée en vue de l’élection présidentielle de décembre 2018 ― qu’il a remportée, devenant ainsi le 5e Président de la RDC, et le premier à accéder à la présidence à la faveur d’une passation pacifique du pouvoir.
De son côté, Macky Sall a également connu l’opposition politique, face à Abdoulaye Wade, avant d’être élu Président de la République en 2012. L’une de ses premières actions fut de créer l’Office national de lutte contre la fraude et la corruption (Ofnac), car il est convaincu de l’importance de la bonne gouvernance. C’est un autre point de convergence avec son homologue congolais, qui a fait de la probité en politique son cheval de bataille.
Tous deux ont aussi engagé des actions fortes en faveur de la santé des populations, à l’image de la Couverture maladie universelle (CMU) que l’on retrouve tant au Sénégal qu’en RDC.
Pour une Afrique unie et pacifiée
S’inscrivant dans la droite ligne de Patrice Lumumba, qui avait organisé en août 1960 à Kinshasa (alors Léopoldville) le dernier congrès de l’histoire du grand mouvement du panafricanisme, le Président congolais considère que « l’avenir est en Afrique » : « Unissons-nous et nous serons l’avenir du monde »,déclarait-il dans une interview accordée à L’Essentiel des relations internationales en décembre 2020. Macky Sall, comme Félix Tshisekedi, aspire à ce que l’Afrique écrive elle-même sa propre histoire. Il a été Président de la Cedeao, et lors de la crise gambienne en 2017, il a milité pour que soit mise en œuvre une « gestion africaine des crises africaines ».
Pour l’instant, le Sénégal reste épargné par le terrorisme, mais la situation est complexe pour ce pays qui possède 480 km de frontière commune avec le Mali. Les groupes islamistes nécessitent une surveillance de chaque instant. Lors du Forum international de Dakar sur la paix et la sécurité en Afrique, qui s’est tenu début décembre 2021, le président de la Commission de l’UA, Moussa Faki Mahamat, a estimé que jamais l’Afrique n’avait connu un tel niveau de menace. Malgré la charte de l’UA sur la démocratie, les élections et la bonne gouvernance, la démocratie est aujourd’hui en danger sur le continent. Pour leur Sommet sur la démocratie, qui s’est tenu à Washington les 9 et 10 décembre 2021, les États-Unis n’ont invité que 17 pays africains sur 54, soit un peu moins d’un tiers.
Macky Sall considère également que le « tableau [est] assez préoccupant ». Il précisait, dans une interview accordée à RFI et France 24 le 8 décembre, qu’« au plan de la sécurité et de la lutte contre le terrorisme, le continent est aujourd’hui métastasé, d’abord dans le Sahel, dans le bassin du lac Tchad, Boko Haram, dans la corne de l’Afrique, en Centrafrique et même au Mozambique, et, plus grave, aujourd’hui la lutte du Sahel est en train d’atteindre la côte océanique ». C’est la raison pour laquelle il est indispensable de trouver des solutions aux conflits qui ont émaillé le mandat de Félix Tshisekedi à la tête de l’UA, et qui pour l’instant restent dans des impasses.
Il s’agit en particulier de réfléchir à la résolution du conflit existant entre les forces gouvernementales éthiopiennes et le Front de libération du peuple du Tigré (TPLF). Tous les efforts engagés à ce jour par l’ancien Président nigérian et représentant de l’UA, Olusegun Obasanjo, pour obtenir un cessez-le-feu ont échoué.
L’UA doit réfléchir aux réponses politico-militaires à apporter pour remédier aux conflits, mais aussi aux façons de mutualiser les moyens et capacités des États voisins. C’est l’un des grands enjeux de la stabilité post-Covid-19. Concernant les transitions politiques, dans des pays où ont eu lieu des coups d’État militaires (en Guinée et au Mali, notamment), le Chef de l’État sénégalais ne peut « pas accepter que dans cette partie de l’Afrique des militaires prennent le pouvoir par les armes », comme il le précisait dans l’interview du 8 décembre dernier. Il convient certes de laisser les gouvernements de transition militaires donner la preuve de leur bonne foi, comme les élections prévues en février au Mali. Mais « s’ils ne donnent pas d’arguments, nous en tirerons les conséquences », juge Macky Sall. Comme son prédécesseur à la tête de l’UA, il considère que les règles du processus démocratique ne peuvent être remises en question. « Je ne ferai jamais un acte qui soit antidémocratique ou anticonstitutionnel », assurait-il face aux journalistes de France 24 et RFI.
Présence et indépendance
Au cours de son mandat à la tête de l’UA, Félix Tshisekedi a plaidé pour que l’Afrique soit mieux représentée à l’ONU (cf. article sur le bilan de son mandat), avec deux sièges supplémentaires dans la catégorie des membres non permanents et deux autres dans celle des membres permanents, qui possèderaient les mêmes droits (y compris celui de veto), les mêmes privilèges et obligations que les membres permanents actuels. Ce combat est aussi celui de Macky Sall, lequel a siégé en tant que membre non permanent au Conseil de sécurité des Nations unies de 2015 à 2017. Pour lui, « il est injuste que le continent, avec 54 pays, ne soit pas représenté comme membre permanent au Conseil de sécurité ». Cette demande semble d’autant plus justifiée que la plupart des dossiers sur la table portent sur le continent africain.
Le Chef de l’État sénégalais a également appelé à plusieurs reprises à ce que le mandat des opérations de maintien de la paix des Nations unies sur le sol africain soit renforcé. Le Sénégal est le 3e contributeur mondial de troupes militaires pour l’ONU à l’échelle africaine, et le 1er à l’échelle ouest-africaine, selon la présidence sénégalaise. Le nouveau Président de l’UA souhaite qu’une force militaire africaine voit le jour, car il estime que ce n’est pas à l’ONU d’assurer la sécurité de l’Afrique mais aux Africains eux-mêmes. La création d’une force d’intervention continentale est un serpent de mer. L’ancien Président tchadien, feu Idriss Déby Itno, en fut le principal artisan dès 2013. Nul doute que Macky Sall profite de cette année pour lancer de nouveaux axes de réflexion sur le sujet au sein de l’UA.
La gestion de la pandémie mondiale a accaparé Félix Tshisekedi en 2021, comme elle avait saisi le Président sud-africain Cyril Ramaphosa avant lui. Elle occupera certainement Macky Sall pour cette année 2022. Moins de 10 % de la population africaine est entièrement vaccinée, et l’objectif sera d’accélérer le rythme des vaccinations, aujourd’hui suspendues aux livraisons de doses dans le cadre de l’initiative Covax. En Afrique, 99 % des vaccins sont importés. L’idée cultivée par Macky Sall est d’améliorer la souveraineté vaccinale des États africains. Sur ce point, le Sénégal fait figure de précurseur. En effet, la vision de son Chef de l’État a été de jeter les bases de la souveraineté pharmaceutique et médicale du pays, afin de participer à la réalisation de celle du continent.
Avec le projet AfricAmaril, une nouvelle usine de production de vaccins contre la fièvre jaune va voir le jour dans la nouvelle ville de Diamniadio. Cette usine viendra compléter les installations historiques de la Fondation Pasteur de Dakar, qui produit ces vaccins depuis 1937. Désormais, l’Institut Pasteur de Dakar s’engage dans la lutte contre la Covid-19. Le projet Manufacturing in Africa for Disease Immunization and Building Autonomy (Madiba) va permettre de construire une usine de production de vaccins contre la Covid-19, et l’Institut Pasteur de Dakar produit également des tests de diagnostic (plateforme Diatropix).
Ces initiatives vont accroître sensiblement les capacités de productions médicale et de vaccins de l’Afrique et réduire sa dépendance. L’Institut vise à terme une production de 300 millions de doses, pour l’usage de l’ensemble de la sous-région. Fort de son expérience nationale, Macky Sall se veut le porte-voix de ceux qui luttent pour l’indépendance sanitaire de l’Afrique.
Des questions durables
Lors du dernier Forum de Dakar, des questions démographiques liées aux changements climatiques ont été posées. Les stratégies de lutte contre le réchauffement climatique, principal accélérateur des migrations, et le problème du chômage structurel touchant la jeunesse figurent au premier plan des réflexions de l’organisation panafricaine. C’est pourquoi le nouveau Président de l’UA s’attachera cette année à trouver des solutions aux crises environnementales, et notamment à la désertification. Le projet de Grande Muraille verte, qui est bien avancé au Sénégal, mériterait de connaître un coup d’accélérateur dans les autres pays de la bande saharo-sahélienne.
D’autre part, alors que l’Afrique a connu sa pire récession économique depuis un demi-siècle, il convient de relancer l’économie pour créer des emplois à même de fixer les populations. La détérioration de la situation économique des pays a un impact sur la démocratie, la gouvernance, les droits de l’homme et l’essor du terrorisme.
La croissance a repris timidement, et les négociations engagées par Félix Tshisekedi sur les Droits de tirage spéciaux (DTS) (cf. article sur le bilan de son mandat) vont permettre d’huiler les moteurs des économies africaines. Mais les ressources restent insuffisantes et il convient de trouver de nouvelles pistes. Macky Sall a appelé, le 25 mars 2021, la communauté internationale à annuler la dette des États africains, afin « d’accompagner la résilience du continent ». Les questions économiques seront, quoi qu’il en soit, primordiales pour son mandat à la tête de l’UA. Il peut bénéficier du soutien de la France. Un sommet Union européenne – Union Africaine aura lieu les 17 et 18 février prochains à Bruxelles. Cela constituera un moment important de la présidence française du Conseil européen. Macky Sall et le Président rwandais Paul Kagame ont participé avec Emmanuel Macron à une réunion préparatoire le 20 décembre dernier à Bruxelles. Ce Sommet vise, selon le Chef de l’État français, à « renouveler en profondeur le partenariat entre les deux continents en faveur de la stabilité et de la prospérité ». Le nouveau Président de l’UA n’en attend pas moins.
Sénégal et RDC
Une histoire panafricaine
Le 9 février 2020, lors du 33e Sommet des chefs d’État et de Gouvernement de l’UA, à Addis Abeba, Félix Tshisekedi était élu Premier Vice-Président de l’UA pour l’année 2020, et par anticipation Président pour l’année 2021, devenant ainsi le second Chef d’État de la RDC à prendre la présidence de l’UA, après le maréchal Mobutu en 1967.
Cette année, avec l’élection de Macky Sall comme Président de l’UA, le Sénégal prend pour la quatrième fois la tête de l’organisation panafricaine. Léopold Sédar Senghor en avait assuré la présidence en 1980, et Abdou Diouf l’a dirigée à deux reprises, en 1985 et 1992.