Le Kazakhstan, à la croisée des continents, ne manque pas d’atouts, d’autant plus que le pays s’est engagé sur une nouvelle trajectoire économique, libérale et favorable aux investissements.
Par Bernard André
Le Kazakhstan poursuit un objectif ambitieux : faire partie des 30 premières puissances économiques mondiales d’ici 2050. Le pays est déjà la 1re économie d’Asie centrale, et il occupe une position stratégique, entre l’Europe, la Russie et la Chine. Pour atteindre son objectif, il doit diversifier son économie, jusqu’à présent fortement dépendante des cours du pétrole et des métaux. C’est aujourd’hui une priorité nationale.
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Le pays a connu dans les années 2000 une très forte croissance qui s’est traduite par une réduction de la pauvreté et des inégalités sociales. Son PIB, selon les estimations, pourrait atteindre plus de 200 milliards de dollars en 2022. Avec un PIB par habitant de l’ordre de 9 000 de dollars en 2020, le pays concentre près de 50 % du PIB de l’Asie centrale. En 2020, son économie a connu, à l’image de la plupart des pays du globe, un ralentissement lié à l’épidémie de Covid-19, et enregistré un solde de croissance négatif de 2,5 %. Mais l’embellie est revenue dès 2021, l’économie nationale retrouvant son rythme de croissance d’avant-crise. Selon les prévisions du FMI, le taux de croissance économique devrait être de l’ordre de 2,5 à 2,8 % en 2022 et 4,5 % en 2023 et 2024.
Une nouvelle trajectoire économique
L’inflation reste l’un des principaux facteurs d’inquiétude pour les autorités kazakhstanaises. Des mesures ont été proposées par Kassym-Jomart Tokayev en septembre 2021 afin d’y remédier, avec des réformes dans le domaine des finances publiques (création d’un organisme de contrôle des prix alimentaires et d’un réseau de centres de commerce de gros). Le Président avait également annoncé des hausses de salaires à partir du 1er janvier 2022. Les mesures gouvernementales visent à créer une classe moyenne autosuffisante et une économie efficace garantissant une répartition équitable des revenus, la création d’emplois de qualité et une augmentation régulière du niveau de vie.
Afin de s’engager pleinement sur une voie visant à libéraliser l’économie de marché, et de démontrer sa volonté de travailler avec la communauté financière internationale, le pays s’est doté de nouvelles infrastructures financières. L’Astana International Financial Centre (AIFC), installé dans la capitale, regroupe sur un même site une nouvelle Bourse, un régulateur financier, un incubateur de startups, une série de services financiers. Il accueille plus de 1 529 entreprises de 65 pays différents. De plus, le bâtiment se trouve à proximité du ministère du Développement numérique et d’une université dont le cursus fait la part belle aux nouvelles technologies et aux sciences du futur.
Le pays veut s’ouvrir à la finance internationale pour soutenir sa croissance. La nouvelle Bourse — Astana International Exchange (AIX) — a été créée en 2018. Elle fonctionne selon la Common Law britannique, une règlementation de classe mondiale favorable aux investissements internationaux. Toutes les grandes agences de notation financière mondiales ont salué les efforts du Kazakhstan pour renouer avec la croissance et ont confirmé des perspectives stables pour sa cote de crédit souverain. En dépit des défis économiques mondiaux, les exportations de biens non primaires ont augmenté de près de 40 % (16,6 milliards de dollars).
Le Kazakhstan commerce avec 180 pays. En accentuant cette ouverture, et en diversifiant son économie, il veut attirer les investissements nécessaires au renforcement de sa position de leader en Asie centrale. Le pays est déterminé à rester la destination d’investissements la plus attrayante dans cette partie du monde. Au cours des six premiers mois de l’année 2022, les partenaires étrangers ont investi environ 14,5 milliards de dollars dans l’économie nationale, soit 28 % de plus que l’année précédente.
Ces bons chiffres sont la conséquence de politiques nationales favorables à l’investissement et à la libre entreprise. Les autorités prévoient également d’introduire un nouveau Code des impôts pour créer un environnement fiscal porteur. Les entreprises « seront exemptées d’exigences compliquées et excessives, ce qui devrait réduire la charge pesant sur les entreprises de 30 % en moyenne », annonçait le 4 novembre le Chef de l’État, Kassym-Jomart Tokayev, face au corps diplomatique étranger accrédité dans son pays.
Par ailleurs, au regard des tensions géopolitiques avec les anciens partenaires de la Russie, le Président Tokayev s’est dit prêt à « mettre en place les conditions institutionnelles d’une collaboration directe avec des entreprises étrangères qui s’implantent au Kazakhstan ou recherchent des joint-ventures ». Du point de vue énergétique, le Kazakhstan apparaît aujourd’hui comme un fournisseur alternatif à la Russie pour les économies européennes qui ont fait le choix de se passer de Gazprom.
Un acteur stratégique
Le pays affiche des objectifs ambitieux en matière de décarbonation de son économie. Il fut le premier État de la Communauté des États indépendants (CEI) à ratifier les accords de Paris, et il souhaite atteindre la neutralité carbone d’ici 2060. À cet égard, des initiatives sont engagées pour réduire progressivement la consommation d’énergies primaires émettrices de gaz à effet de serre, ce qui représente un challenge dans un contexte d’essor économique. Aujourd’hui, les énergies renouvelables représentent 3 % du bilan énergétique total du Kazakhstan, et le coût total de la décarbonation de l’économie serait de l’ordre de 640 milliards de dollars d’ici 2060.
L’économie nationale repose essentiellement sur l’extraction d’hydrocarbures — environ 60 % des exportations en valeur en 2020. Parmi les investissements majeurs figurent les énergies vertes. Un accord a récemment été signé entre le gouvernement du Kazakhstan et l’entreprise à participations suédoise et allemande Svevind Energy Group afin de construire une usine d’hydrogène vert de 20 gigawatts, qui devrait être l’une des plus grandes au monde. Les électrolyseurs pourront produire jusqu’à 2 millions de tonnes d’hydrogène vert par an à partir de 2032, soit l’équivalent d’environ 20 % de l’objectif de l’UE pour l’hydrogène vert importé à horizon 2030. Le parc industriel d’électrolyseurs sera alimenté par des centrales éoliennes et photovoltaïques d’une capacité totale d’environ 40 gigawatts, installées dans les immenses plaines du sud-ouest du Kazakhstan. Produit à partir d’électricité renouvelable, sans émission de dioxyde de carbone, l’hydrogène vert est un élément clé du plan de l’Union européenne visant à réduire sa dépendance aux combustibles fossiles et à décarboner les industries énergivores. Le Kazakhstan bénéficie d’excellentes conditions de vent et de rayonnement solaire toute l’année, et est le lieu idéal pour l’installation de tels projets. Par ailleurs, le pays dispose de coûts de production bas, ce qui le rend très compétitif sur le marché mondial.
Le Kazakhstan occupe de plus une position stratégique. C’est un hub de transit, au carrefour de l’Europe, de l’Asie, du golfe Persique et de la Russie. L’exploitation du potentiel économique que représentent les transports doit permettre de rentabiliser les investissements consentis dans ce secteur. Les transports, et la logistique, recèlent en effet un grand potentiel de développement. La Banque mondiale estime que leur développement peut contribuer à une augmentation cumulée de 15 % du PIB dans les pays d’Asie centrale.
Le pays joue déjà un rôle important dans la nouvelle route de la soie (Belt and Road Initiative, BRI) initiée par la Chine. En effet, l’un des six corridors — la route de transport internationale transcaspienne qui traverse le pays — est devenu un axe majeur, qu’il convient de développer, au regard de son caractère essentiel, sur le plan des approvisionnements énergétique et alimentaire. Aujourd’hui, plus de 80 % du trafic terrestre le long du corridor Chine-Europe passe par le territoire du Kazakhstan. Le Président Tokayev a affirmé, le 4 novembre, avoir « obtenu le soutien des chefs d’État chinois, saoudien, turc et azerbaïdjanais pour développer ce corridor ». Les travaux routiers seront menés de concert avec le développement du chemin de fer Kazakhstan-Turkménistan-Iran et des autres corridors transeurasiens « Nord-Sud » et « Est-Ouest ».
Le Président kazakhstanais a appelé les chefs des missions étrangères présents lors de son discours à s’engager activement avec le Fonds Samruk-Kazyna, qui est l’un des 30 plus grands fonds souverains au monde avec des actifs d’une valeur de 70 milliards de dollars. Ses principaux actifs, dont KazMunayGas, Air Astana et Kazakhstan Temir Zholy (KTZ), seront prochainement introduits en Bourse. Sa privatisation est l’une des grandes initiatives visant à accroître la libéralisation de l’économie. L’objectif est de porter le Fonds Samruk-Kazyna à 100 milliards de dollars.
Potentiel de transformation
Des mesures sont prises pour accroître la compétitivité en limitant l’intervention excessive de l’État et en encourageant la création et le développement des Petites et moyennes entreprises (PME). L’objectif du Kazakhstan est de faire passer la part des PME dans le PIB à 40 % d’ici à 2030.
Le pays dispose d’un grand potentiel de développement dans le secteur manufacturier. C’est pourquoi il doit aujourd’hui passer des exportations agricoles de matières premières à la transformation, comme l’a déclaré le 20 octobre le Président Tokayev lors d’une réunion avec la société civile de la région de Jetyssou, à l’occasion de la relance de l’usine KazSilicon et de la construction de l’usine électro manganèse. « Ces deux entreprises sont cruciales pour le Kazakhstan. Elles devraient devenir une plateforme pour le développement et la diffusion de technologies avancées dans le domaine de la métallurgie », précisait alors le Chef de l’État. D’ici à 2026, le portefeuille d’investissements dans cette seule région comprendra 162 projets et permettra de créer environ 7 000 emplois.
Une liste de 700 grandes et petites entreprises « à privatiser » a été dressée. Et chaque projet est suivi individuellement, afin d’interagir avec les investisseurs potentiels.
Le Kazakhstan attire de plus en plus. Le volume annuel moyen d’Investissements directs étrangers (IDE) s’est élevé à 22 milliards de dollars au cours des cinq dernières années, et le pays prévoit d’attirer 150 milliards de dollars d’IDE dans les sept prochaines années. À l’initiative du Chef de l’État, une nouvelle politique nationale a été mise sur pied jusqu’en 2026, visant à attirer les investissements axés sur des critères Environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG), lesquels constituent généralement les trois piliers de l’analyse extra-financière et sont pris en compte dans la gestion socialement responsable. Dans ce but, le Kazakhstan s’efforce de mettre en place des conditions qui soient les plus transparentes possibles, notamment grâce aux solutions numériques. La transformation est en cours, et le pays est déjà reconnu comme un pôle technologique en Eurasie. La qualité de son système d’e-Gouvernement a été reconnue par l’ONU. En 2022, les exportations de produits et services informatiques seront multipliées par trois par rapport à 2020 (passant de 33 millions à 100 millions de dollars). Le secteur est pourvoyeur d’emplois et, pour répondre à la demande, 100 000 spécialistes informatiques vont être formés d’ici 2025.
D’immenses ressources naturelles
Si le Kazakhstan s’est engagé sur la voie de la diversification et de la transformation, l’optimisation de l’exploitation de ses ressources naturelles constitue toujours une priorité, et nécessite l’appui des investisseurs.
Du point de vue agricole, le pays figure parmi les dix plus grands exportateurs de céréales de la planète, fournissant chaque année 5 millions de tonnes de blé et 1,5 million de tonnes de farine. Le Kazakhstan est également l’un des plus grands producteurs de graines de lin et exportateurs d’oléagineux. Son potentiel agricole est sous-exploité, alors que près de 75 % du territoire est cultivable. De même, les possibilités en termes de développement de l’industrie agroalimentaire sont importantes.
Concernant le sous-sol, le Kazakhstan regorge de minerais et d’hydrocarbures, ces derniers constituant encore le moteur de l’économie. Le territoire kazakhstanais renferme 99 des 105 éléments du tableau périodique des éléments chimiques de Mendeleïev. Il dispose en effet, des 1res réserves mondiales de plomb et de tungstène, et des 2es réserves d’uranium, de chrome, d’argent et de zinc. D’autres ressources telles que le manganèse, l’or, le cuivre, le minerai de fer, le phosphate ou les terres rares sont présentes en quantités conséquentes. Selon les estimations, il y aurait aussi d’importantes réserves de lithium. Le Chef de l’État a chargé le National Geological Surveys d’intensifier les travaux pour attirer les investissements dans l’exploration et le développement des ressources souterraines du pays.