Entretien avec Olivier Brochet Directeur de l’AEFE
Olivier Brochet a pris la tête de l’Agence pour l’enseignement français à l’étranger (AEFE) en mars 2019. Moins d’un an après sa nomination, il a dû affronter la crise de la Covid-19, tout en mettant en œuvre un ambitieux plan de réformes.
Propos recueillis par alexandra Taieb © DR

L’Essentiel des relations internationales : L’AEFE fête cette année ses 30 ans. Quelles sont les grandes orientations prises par votre institution pour répondre aux objectifs fixés par le Président de la République française ?
Olivier Brochet : En mars 2018, le Chef de l’État nous a demandé d’assurer le doublement des effectifs scolarisés dans le réseau de l’enseignement français à l’étranger à l’horizon de 2030. Le Président de la République s’appuie sur le constat qu’il y a une demande très forte dans le monde pour l’accès à une éducation internationale de qualité. Donc la question posée est : comment l’enseignement français à l’étranger peut-il répondre au mieux à cette demande, et profiter, d’une certaine façon, de l’existence de cette demande, sans laisser d’autres prendre une place vacante ? L’intérêt est évident. L’enseignement français est au service des communautés françaises à l’étranger. C’est également un enjeu majeur pour notre diplomatie d’influence. La France, puissance éducative, doit prendre toute sa place dans ce concert de nations sur la formation des jeunes, sur la transmission des valeurs, etc.
Une méthodologie a été mise en place, visant en premier lieu à bien consolider le dispositif existant, à en faire une vitrine très attractive, et à utiliser toute sa dimension de laboratoire pédagogique. Le second volet consiste à aller chercher des investisseurs et à convaincre des familles par une communication renforcée et adaptée, mais également à mettre en place des objectifs d’accompagnement. Le troisième élément de ce plan, c’est de mettre en œuvre des moyens pour accompagner la croissance du réseau, et notamment pour soutenir un enseignement de qualité, ce qui passe par le renforcement de la formation de tous les enseignants.
Concernant le premier élément, à savoir la consolidation du dispositif, depuis que la crise de la Covid est arrivée au mois de janvier dernier, nous avons été entièrement mobilisés pour accompagner les établissements, quel que soit leur statut, afin qu’ils réussissent les adaptations pédagogiques permettant de soutenir les élèves. Grâce aux moyens supplémentaires que l’État nous a accordés, nous avons pu aider tous les établissements et les familles françaises et étrangères en difficulté. C’était important, et cela a permis au réseau dans son ensemble de faire preuve de résilience dans cette crise. Malgré cette période difficile, notre attractivité demeure puisqu’en 2020, 18 nouveaux établissements ont été homologués et plus de 8 000 nouveaux élèves sont entrés dans le réseau d’enseignement français à l’étranger.
Pourquoi de plus en plus de parents étrangers veulent-ils inscrire leurs enfants dans vos écoles ?
Aujourd’hui, deux tiers des élèves des établissements de l’AEFE sont étrangers. C’est une caractéristique très forte de notre réseau. Cette attractivité est confirmée cette année, puisque le nombre d’enfants étrangers scolarisés augmente par rapport à la rentrée précédente.
Que recherchent les familles étrangères ? Il y a beaucoup d’éléments, et c’est sur ces derniers que nous devons renforcer notre communication pour les convaincre. L’excellence éducative d’abord, depuis la maternelle. Il s’agit de l’excellence éducative depuis la maternelle jusqu’au baccalauréat, un diplôme qui ouvre sur les meilleures universités mondiales. Pour une partie des parents, la dimension du réseau et la possibilité de retrouver la même qualité d’enseignement en changeant de pays est aussi importante. Cela vaut pour les Français, mais aussi pour beaucoup d’étrangers. Ils veulent aussi un enseignement plurilingue. Les établissements français à l’étranger sont des établissements d’excellence, francophones, plurilingues.
Qu’est-ce qui distingue les établissements de l’AEFE des autres écoles internationales ? Quelle est la politique de langues vivantes mise en place dans votre réseau ?
L’enseignement français à l’étranger constitue, je le rappelle, le premier réseau international organisé et contrôlé par l’État. C’est une différence fondamentale avec une grande partie des dispositifs concurrents. Il existe des réseaux nationaux qui ressemblent au nôtre, à l’image des réseaux allemand, espagnol ou italien, mais qui sont beaucoup plus petits. D’autre part, il existe une myriade d’établissements internationaux qui ne sont pas soutenus par un État et qui ne sont pas contrôlés par un ministère de l’Éducation nationale, comme nous le sommes. La qualité de l’homologation, renouvelée tous les cinq ans, est primordiale. En période de crise, on voit aussi à quel point ce soutien de l’État est important pour les établissements et les familles.
Dans un établissement d’enseignement français, en plus de votre langue natale, vous apprendrez le français, mais aussi l’anglais, et souvent une quatrième langue. Les sections internationales se développent de façon spectaculaire. Nous en avons plus de 200 dans les établissements français à l’étranger. Ces sections internationales commencent de plus en plus souvent à partir du primaire. Cela garantit un parcours plurilingue d’excellence.
La Covid-19 n’a épargné aucun continent. Quelles mesures ont été prises pour permettre à vos élèves de continuer à étudier tout en préservant leur santé et celle des professeurs ?
Lorsque la crise est apparue, à la fin du mois de janvier, les établissements de Chine et du Vietnam ont été tout de suite confrontés à l’épidémie. Nous avons réagi rapidement afin de mettre en place un certain nombre d’outils destinés à accompagner les enseignants et les établissements. La priorité est partout de garantir la sécurité sanitaire de tous ceux qui fréquentent les lycées, à commencer par les élèves et les enseignants. Nous devons en plus nous adapter aux règlementations locales. Une immense diversité de protocoles sanitaires est en vigueur dans les établissements français à l’étranger. Ce n’est pas simple et nous effectuons ce travail en lien avec les ambassades. Je crois que le défi est à ce jour relevé, puisque aucun établissement n’est devenu cluster.
Il faut s’adapter au plan pédagogique. Dans un premier temps, fin mars 2020, cela est passé par la mise en œuvre de l’enseignement à distance partout. Depuis la rentrée la majorité des établissements a pu rouvrir, mais certains restent fermés et continuent de fonctionner à distance. Parmi ceux qui ont rouvert, des mesures hybrides ont été mises en œuvre. Tout l’enjeu est d’accompagner les établissements en leur laissant une certaine autonomie dans leur organisation. Entre mars et juin, plus de 90 000 actions de formation et de conseil ont été effectuées dans le réseau. Nous venons de réaliser une enquête sur l’enseignement à distance à laquelle plus de 60 000 personnes, parents, élèves et enseignants, ont répondu. Elle fait apparaître la qualité du travail accompli mais aussi des marges de progression sur lesquelles nous allons concentrer notre formation.
Cette crise fragilise des familles et certains établissements. Quelles mesures ont été prises pour assurer la scolarité des élèves ?
Au printemps dernier, dès le 30 avril, le Ministre de l’Europe et des Affaires étrangères, monsieur Le Drian, a annoncé la mise en place d’un plan d’urgence pour soutenir les familles et les établissements. Ce plan d’urgence s’est traduit par la loi de finances rectificative du 30 juillet dernier qui a accordé à l’Agence 100 millions d’euros de subventions supplémentaires et 50 millions d’avance de trésorerie pour lui permettre de venir en aide à tous les établissements du réseau et à toutes les familles en difficulté ; 50 millions d’euros supplémentaires ont été alloués aux bourses pour les Français. Ils ont permis depuis le printemps de renforcer notre soutien aux familles en difficulté. Ce premier axe demeure pour l’année scolaire en cours.
Le second axe, ce sont 50 millions d’euros de subventions qui, dans un premier temps, ont été utilisés principalement pour aider les familles étrangères en difficulté. Pas un seul autre réseau scolaire à l’étranger n’a mis en place un système de ce type pour maintenir la scolarité d’élèves étrangers. C’est exceptionnel. Ces fonds ont également été utilisés pour aider des établissements en difficulté. Nous sommes aujourd’hui dans la seconde phase du plan d’urgence et nous venons en aide à tous les établissements du réseau pour financer les mesures qu’ils ont dû prendre en lien avec la Covid, que ce soient des achats de matériel sanitaire, de matériel informatique pour assurer les cours à distance, des transformations de salle, etc. Les aides vont leur permettre de mieux affronter la crise dans la durée.
Comment l’AEFE contribue-t-elle au sein de ses établissements au dialogue interculturel, et à la mise en avant des valeurs françaises ?
La question des valeurs est au cœur de notre mission éducative. C’est quelque chose que les familles recherchent lorsqu’elles mettent leurs enfants dans un établissement français. Nous avons deux enjeux sur ces questions. Le premier, fondamental, est de former l’esprit critique des enfants. Nous ne sommes pas là pour leur imposer des valeurs. Nous sommes là pour leur permettre de faire travailler leur esprit critique, dans le respect de la pensée des autres, dans le goût du débat, pour former des jeunes citoyens éclairés. Dans certains pays, enseigner aux enfants qui viennent dans nos lycées, en cours de français ou de philosophie, les écrits de Voltaire a une puissance révolutionnaire que nous n’imaginons pas en France. Il faut tout le savoir-faire de nos enseignants pour y parvenir.
Le deuxième axe c’est de vivre cet enseignement. Nous attachons une grande importance à la vie scolaire. Je pense au travail des CPE ou des enseignants de sports, qui est formidable. Les élèves ne sont ni spectateurs, ni sujets. Nous voulons en faire des citoyens actifs et acteurs de leur vie.
Comment formez-vous les personnels enseignants en contrat de droit local, qui n’ont jamais reçu de formation initiale, à l’instar des professeurs titulaires ?
Il existe trois catégories de personnel dans nos établissements. Les personnels expatriés de l’AEFE — moins de 1 000 — sont les personnels de direction, mais aussi les inspecteurs et les enseignants formateurs. Il y a plus de 5 000 personnels titulaires de l’Éducation nationale avec un statut dit de résident, que l’on trouve dans les établissements en gestion directe ou les établissements conventionnés. Et puis, il y a les personnels de droit local, parfois de l’Éducation nationale, présents dans tous les établissements. Ils représentent la majorité des personnels enseignants dans les établissements français à l’étranger. Leur nombre a vocation à augmenter dans les années à venir, avec l’extension du réseau.
Nous devons nous assurer de la qualité de ces personnels. Pour cela, il faut, au moment du recrutement, qu’ils soient bien formés au niveau universitaire. Tout l’enjeu est ensuite d’en faire le plus rapidement possible des enseignants et des pédagogues capables d’enseigner à la française, c’est-à-dire de comprendre les programmes et les méthodes d’enseignement que nous voulons diffuser, mais aussi d’adhérer aux valeurs portées par l’enseignement français. Nous avons des plans de formation continue qui sont organisés dans les 16 régions que nous avons définies sur la planète, et nous sommes en train de travailler à renforcer ce dispositif avec la mise en place de 16 instituts régionaux de formation qui auront notamment pour mission de porter une attention particulière à la formation initiale des recrutés locaux.
Quelles sont les grandes actions ou réformes que vous avez entreprises depuis mars 2019 ? Comment définiriez-vous votre style ?
Quand j’ai pris mes fonctions, ma mission première fut, en lien avec le MEAE et le MENJS, de traduire dans un plan de développement les objectifs fixés par le Président de la République. Les axes de ce plan de développement ont été présentés le 3 octobre 2019 par les ministres Le Drian et Blanquer, et au mois de décembre de l’année dernière, nous sommes arrivés à la fixation du Cap 2030 pour l’enseignement français à l’étranger. Malheureusement, depuis le mois de janvier, la priorité a été d’appréhender la crise de la Covid et les urgences pour soutenir le réseau. Aujourd’hui, pour l’année 2021, l’enjeu est double. Il s’agit déjà de consolider le réseau existant, de n’abandonner aucun établissement en difficulté, de répondre aux demandes des familles en garantissant que la mission éducative sera remplie, quelles que soient les conditions sanitaires. Mais je souhaite également pouvoir reprendre le rythme des réformes que nous avions planifiées au début de l’année 2020, avec une priorité absolue accordée à la formation des enseignants. Ainsi, l’enjeu de l’année 2021 est une combinaison entre la consolidation du dispositif et la relance de notre rythme de réformes et de nouveaux projets, pour aller dans le sens du Cap 2030.
Je ne sais pas s’il existe un style Olivier Brochet. Diriger l’AEFE, c’est une grande responsabilité vis-à-vis des dizaines de milliers de familles qui font confiance à l’enseignement français et des milliers de personnes qui travaillent pour l’AEFE. Je m’efforce de le faire dans la fidélité aux valeurs du service public qui sont profondément ancrées en moi, en fixant un cap clair dans le respect et l’écoute de tous mes interlocuteurs. Permettez-moi à cet égard d’exprimer ma profonde reconnaissance pour tous mes collègues à Paris, à Nantes, dans le réseau, qui font un travail extraordinaire depuis des mois, sans compter leur temps ni leur énergie.